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jeudi 26 septembre 2024

Extrait de "La petite algérienne"

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

Août 1945. retour de Guy Mingam de son emprisonnement dans un Oflag.

Huguette Mingam en 1945

Les retrouvailles des époux ont lieu à la gare Montparnasse. Huguette Mingam patiente depuis plus d’une h en arpentant fébrile le grand hall, là où s’enchevêtrent des inconnus, la plupart bretons en partance vers leurs familles, tout au plus bariolés de soldats frénétiques à l’idée d’une permission prolongée, qui chavirent vers une destination lointaine et désirée, où indistinctement se dispersent et se mélangent les bribes de conversations que Huguette Mingam confond avec un bourdonnement incessant. Elle détient deux billets retour pour la gare de La Rochelle qu’elle serre fortement dans les mains de crainte qu’ils s’envolent peut-être. Plus certainement, elle s’accroche à ces deux ridicules petits bouts de papier pour être certaine qu’elle ne se trompe pas, les choses sont bien réelles pourtant. Le train est prévu au départ quai 2 dans un peu moins d’1h30, ce qui devrait suffire. Pendant qu’elle attend son mari, elle se questionne longuement, taraudée par tant d’années de séparation : « A quoi va-t-il ressembler, et moi est-ce que je vais le reconnaître ? Serai-je encore assez belle à ses yeux ? ». Huguette Mingam s’est apprêtée du mieux qu’elle pouvait, en tout cas en fonction de ce que sa garde-robe dégarnie lui exhibait de plus habile pour plaire à Guy Mingam. Elle exagéra le détail jusqu’à tracer un trait au crayon sur l’arrière de ses bas résilles. La seule fantaisie visible qu’elle s’autorisa; en d’autres lieux on aurait pu l’allier à de la coquetterie, est ce foulard léger en soie, souvenir d’Algérie, qu’elle noua autour du cou. Mais même avec très peu, il ne doit en aucun cas être rongé par la déception dès qu’il l’apercevra. Elle détient peu d’informations quant à l’arrivée de l’ex-prisonnier, tout juste une heure approximative et que c’est une jeep américaine qui le déposera. De taille plutôt moyenne, elle doit parfois se mettre sur la pointe des pieds pour s’extraire de ces toisons, de ces casques et de ces chapeaux qui lui entravent la vue. Enfin, sans le discerner vraiment, ne serait-ce que parce qu’elle s’est égarée dans de nombreuses minutes épépinées, elle distingue un véhicule militaire, correspondant au modèle américain annoncé, débouler à vive allure et venir stationner devant la gare. Le passager qui s’en extrait est bien son homme, la taille de l’individu ne fait plus aucun doute maintenant sur l’identité de celui qu’elle chérit. A son approche, Huguette Mingam ne peut contenir le chagrin qui la dérange depuis un moment. A son allure, elle se doute que l’état d’affaiblissement dans lequel il patauge et son amaigrissement visible au flottement de la chemise, signalent un bilan de santé général équivalent à une sorte d’abrutissement. Pourtant, le large sourire arboré, qui s’élargirait au-delà du faciès s’il le pouvait, focalise toute son attention. La décence de leur milieu voulut que leur étreinte fût brève et discrète mais elle est d’une telle intensité que l’ensemble des muscles de leurs corps se raidit à tel point que Huguette Mingam est saisie d’une crampe fugace dans le pied gauche puisqu’elle doit se redresser pour l’agripper par le cou. Guy Mingam n’a pas de mots pour décrire ce qu’il ressent à revisiter cette femme récompensée à ses yeux par une beauté sans pareille. « Ses traits sont tirés, son regard un peu effacé, mais cela ne nuit en rien à sa beauté naturelle. Ses lèvres sont tièdes, c’est agréable», se dit-il. Après cet instant savouré par le couple, Guy Mingam finit par parcourir la foule à la recherche de quelques visages connus en tout cas qui se rapprochent des souvenirs qu’il en a, les enfants ont grandi : « Tu es venue toute seule ? Yves et Anne-Marie ne sont pas avec toi ? Huguette Mingam est presque soulagée que ce soit lui qui brise le silence. Le prétexte des enfants est une raison bien accommodante,

    -  Non, comme tu le vois. J’ai demandé à Mme Mérand de les garder le temps qu’il faudra. J’ai préféré venir seule pour que nous soyons plus à notre aise pour échanger tous les deux. Notre départ pour La Rochelle approche, si tu le souhaites nous pouvons déjà nous asseoir dans le compartiment, j’ai réservé nos places,

  - Oui je veux bien, Huguette. Je me sens quelque peu harassé. Et pourquoi la gare de La Rochelle ?

  Oh… Et bien la gare de La Roche-sur-Yon a été bombardée avec le départ des Allemands, donc pas de liaisons possibles pour l’instant. A La Rochelle un véhicule de l’armée doit passer nous prendre,

 -  Très bien alors, regagnons le train si tu veux bien. Je pense que nous aurons beaucoup de choses à nous raconter. » Tout en regagnant le quai 2, Huguette s’est accrochée au bras de son époux. Le pas défaillant de son mari lui permet de prolonger son étreinte et profiter pleinement de cet instant.

samedi 21 septembre 2024

Extrait du manuscrit "La petite algérienne"

« La colonisation c'est des heures qui ont été noires, mais c'est aussi des heures qui ont été belles, avec des mains tendues. » Bruno Retailleau, Ministre de l'intérieur

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

A.P. Pignol, deuxième homme à partir de la droite. 1930
Grâce à leur activité hôtelière, A.L. Pignol se fait un nom et compte bien consolider sa position de notable local. Pour y parvenir, le statut de personnage public est incontournable. A.L. Pignol l’a bien compris. En plus de devenir conseiller municipal à Tébessa, il se retrouve à la tête de la commune mixte de Morsott, d’où la multiplication de déplacements sur tout le secteur, en plus des réunions au conseil municipal de Tébessa et des obligations qui les régissent comme la supervision des chantiers communaux qui ne manquent pas pendant que l’on doit supporter l’état désastreux des routes régulièrement ravinées à cause des pluies. Le positionnement politique d’A.L. Pignol au début des années 20 paraît assez assumé et prend la forme d’une droite patriotique, profondément raciste, nécessairement antisémite, dans un contexte général extrêmement racisé et ostracisant du début de ce 20èmesiècle. Régulièrement il salue les initiatives de Jules Molle, maire antisémite d’Oran, encourage la multiplication de cellules de l’Union Latine sur L’Oranie et plébiscite même la création de l’une d’entre elle à Tébessa. Le passage à l’acte violent ne semble pas être considéré pour A.L. Pignol comme un geste désincarné de la fonction républicaine dont il est pourtant le représentant public. Après tout, il ne fait que soutenir en les reproduisant les agissements de Max Régis, ancien maire d’Alger. Plus que quelques ressentiments qu’il entretient, c’est une haine farouche envers les juifs qui l’anime, au point de tabasser certains d’entre eux lors de ratonnades qu’il commet de temps en temps en bande organisée, hors les murs de Tébessa. A la mairie c’est l’effervescence. De toute part, l’empressement guide le personnel administratif pour obturer par de larges plaques les fenêtres du bâtiment. De par sa position très centralisée, il échappe partiellement à la violence des Siroccos même si de minuscules tornades virevoltent dans l’étroit passage qui le sépare des bureaux du Génie Militaire. Les conseillers municipaux encore présents, ne sont pas en reste et contribuent à l’effort commun. On tente de rassurer les quelques administrés qui n’ont pas pu être exfiltrés par des attentions toutes particulières comme les inviter à se rendre dans la grande salle du conseil, là où ils pourront trouver un espace qui a été transformé à leur intention. Au pire, en cas de prolongation de la tempête, on pourvoira à leur inquiétude par des collations réconfortantes. Après avoir aménagé la salle du conseil situé au rez-de-chaussée, A.L. Pignol emprunte l’escalier pour le 1er étage qui lui permet d’accéder au bureau du maire, M. Fargues, situé dans le prolongement de l’escalier, sitôt saisi par l’importance centrale du rôle du magistrat, en tout cas celui que s’est adjugé M. Fargues, selon l’opinion falsifiée d’A.L. Pignol. L’homme fait entendre sa voix après le coup porté sur la porte. « Entrez ! Ah, c’est vous Pignol. Tout va bien en bas ? Nous avons terminé de barder les ouvertures ?". L’utilisation de la première personne du pluriel par le maire fit sourire le conseiller à constater que M. Fargues n’avait eu de cesse de besogner depuis la levée du Sirocco. Etrange spectacle que d’exhiber cet homme derrière son bureau entouré d’un halo de lumière que seul l’éclairage d’une lampe à pétrole déposée à la vite parvient à pénétrer l’obscurité, laquelle a comblée une pièce si insignifiante au départ qu’elle en devient, tout d’un coup, éclaboussant. A l’exposer ainsi, les lunettes rivées sur le nez, ourlé d’une barbe touffue large gris-bleu, précieusement taillée dans son extrémité la plus évasée, avec la paume de la main droite posée sur le front tel un pilier pendant que l’autre a saisi un crayon finement ciselé, on supposerait un érudit ou bien un diacre figeait éternellement sur le même ouvrage, sur la même page, dans une posture pour la postérité, nullement perturbé par le souffle qui harcèle les deux battants de la fenêtre, comme si la vaste lumière voulait s’engouffrer dans cette scène résolue à désagréger ce type en mille morceaux. A.L. Pignol sort de sa semi torpeur, avance prudemment et prend appui sur une des chaises jusqu’alors invisibles à son regard. 
- Oui, nous avons les choses en main M. le Maire, tout le personnel de la mairie ainsi que les conseillers se sont activement mobilisés pour respecter les consignes d’urgence,
- Très bien Pignol, M. Fargues n’a pas dédaigné lever la tête de la pile de documents pour lui répondre, ce qui pique au vif  A.L. Pignol, dont l’agacement se manifeste par une quinte de toux,

- Dites-moi M. le Maire, pourrais-je obtenir 5’ de votre attention ?

- Bien entendu Pignol, bien entendu. Le crayon dans sa main parcourt, continuellement, de gauche à droite, les lignes d’écriture, que puis-je faire pour vous ?

- Ecoutez, je n’en suis pas à ma première demande et comme je constate que les choses n’évoluent pas, je me permets d’insister… ce mot semble irriter le maire lequel pressent qu’il sera encore accusé de ne pas intervenir au point de couper son interlocuteur,

- Insister sur quoi Pignol ? Reprend-t-il hautain pour bien signifier que c’est lui qui dirige cet échange,

- Eh bien, il y a encore de jeunes juifs qui déambulent dans la cour Carnot. Alors, en plus de vendre des dattes de façon illégale, ils importunent les piétons, qui sont potentiellement des clients de l’Hôtel et tout ceci est fâcheux pour le commerce, le nôtre comme ceux de nos collègues, renchérit A.L. Pignol appuyant sur la dernière phrase pour insister sur le fait que d’autres se plaignent et que son intervention ne relève pas de la lubie d’un seul individu,

- Oui… J’ai bien conscience du désordre que cela peut vous causer à vous et votre épouse, mais que voulez-vous de plus ? Nous avons déjà rayé les familles juives des listes d’aides sociales suite à une insistance de votre part qui vous caractérise d’ailleurs fort bien Pignol. Cette vente, même illicite, pourvoit tout de même à une rentrée d’argent, même minime pour les familles et de surcroît, je n’ai plus les femmes qui viennent geindre dans mon bureau ! Et croyez-moi, leur insistance m’aurait obligé à camper dans mon bureau ! Cette fois-ci le maire a levé la tête anticipant la réaction de l’hôtelier, pose son crayon et lui répond, très bien Pignol, je ne peux pas interdire la vente à la sauvette, parce que cela est bon pour le tourisme, surtout si ces marchands haranguent les visiteurs de notre belle cité en criant que ce sont d’authentiques dattes de la région de Tébessa. Par contre je peux faire intervenir les forces de l’ordre avec l’appui du Commissaire et exiger que ce… désagrément se réalise en dehors des murs de la ville, Quand pensez-vous ? Au goût d’A.L. Pignol cette question ressemble fort à une sommation à seule fin d’écourter leur conversation,

- Très bien, procédons selon vos souhaits. Je me rends moi-même au Commissariat ?

- S’il vous plaît, faites ceci pour moi. M. Fargues a repris la lecture de son dossier. Profitez de cette pause inopinée pour vous restaurer, je crois qu’il y a de quoi se sustenter. Je vous rejoins plus tard. A bientôt Pignol,

- A bientôt M. le Maire.» Après avoir fermé la porte derrière lui, A.L. Pignol maugrée de toutes ses forces pendant qu’il dévale l’escalier «Je vais t’en faire bouffer des dattes, tu vas voir ! » Peste-t-il intérieurement. Mais son animosité s’éteint généralement instantanément à l’encontre du maire, ce dernier plaidant en la faveur des Pignol pour les adjudications trisannuelles concernant les lots d’alfas, ce qui sous-entend des contreparties implicites de la part d’A.L. Pignol en la direction du Maire, enfin en apparence. Après quelques heures d’isolement, l’éloignement du Sirocco permet à tout chacun, au bout de quelque temps, de reprendre l’activité à laquelle il se consacre d’ordinaire. Avant de rentrer à l’Hôtel, A.L. Pignol décide de bifurquer vers la rue Caracala, endroit où réside dans un appartement presque insalubre son ami Khelal Bachir que son épouse emploie pour la récolte d’alfa, la visite à la gendarmerie attendra demain. 

jeudi 5 septembre 2024

"La petite algérienne". Part. II

Récit en cours de rédaction. Quand des Français étaient antisémites

Partie I

https://ddlabeillaud.blogspot.com/2024/08/extrait-de-la-petite-algerienne.html

D’abord d’aspect pentagonal, la ville centrale extrêmement pourvue en édifices publics majestueux, s’étale, semblant vouloir échapper à la rigidité du maillage rigoureux des rues en forme de case. A part de larges pénétrantes fidèles au plan initial, les ruelles juxtaposées, contraintes par des aléas topographiques, vagabondent davantage, même si l’architecture du bâti plus récent ne s’écarte par des caractéristiques typiques des maisons vendéennes. Celle de la famille Mingam est plutôt imposante et convient parfaitement au rang de gradé de Guy Mingam où seule pourtant a résidé son absence pendant plus de cinq ans ; à peine avait-il défait ses bagages qu’il devrait s’acquitter de ses engagements et rejoindre son bataillon. Prise dans l’angle des rues de « Jeanne d’Arc » et de « La Faisanderie », une tourelle carrée à 2 étages, chapeautée d’un toit à larges pans, lorgne sur la partie mitoyenne plus modeste par sa hauteur, elle aussi pourvue d’une toiture à l’identique. La propriété, qui se prolonge par un large muret, laisse deviner un jardin foisonnant à voir les différents arbres exhumant leurs protubérances feuillues dès l’hiver oublié ou bien ébruitant des excitations d’enfants dues à des jeux suspendus par des injonctions de la maîtresse de maison. A son sommet, une vieille vigne dégueule sur les pierres scellées où elle s’est amoncelée mais piégée par endroit dans ses entrelacs, déborde par coulures puis s’évade vers le bas, à peine gênée par la porte d’accès donnant sur la rue, et s’accroche vers le haut, agrippée à la gouttière, arborant une ligne continue jusqu’à lécher les chevrons de la toiture. De solides volets battants persiennés oblitèrent les fenêtres du second étage alors que celles du niveau inférieur se trouvent entrouvertes. Si le passant levait la tête à l’instant précis où il longeait cette maison de maître, peut-être apercevrait-il partiellement la frimousse d’Anne-Marie qui, campée sur la pointe de ses chaussures, épie habitée par une certaine fébrilité le retour de sa mère, Huguette Mingam. Yves, son jeune frère, se trouve au rez-de-chaussée dans la spacieuse cuisine, concentré en ce jour de vacances à réviser ses leçons de français en compagnie de la couturière Mme Mérand ravaudant des vêtements pour les enfants ; la chaleur dégagée par la cuisinière alimentée par du charbon, facilitera l’habileté de ses mains moins abîmées par d’anciennes crevasses. A cause de longues périodes de froid, que le rationnement de charbon ne parvenait pas à chasser, le salon adjacent avait été délaissé plusieurs années de suite, si ce n’est quelques intrusions furtives d’une épouse embrunie saisissant les cadres de Guy, photographié en tenue militaire à l’occasion de défilés et de commémorations, qu’elle s’empressait de serrer dans ses bras afin de les encastrer viscéralement contre son corps ou bien qu’elle occupait pour accéder au secrétaire et rédiger des lettres à destination de son époux ou de sa famille en Algérie. De nombreuses autres pièces se vidaient de ses occupants. Car à quoi bon s’attarder dans la chambre du dernier étage, à quoi bon accéder dans une pièce blâmée par l’oisiveté d’anciennes mœurs et d’étreintes éteintes, à quoi bon s’épancher davantage en larmes sur un lit conjugal devenu terne et impersonnel, au point de la révulser parce qu’il aurait été indigne de s’attarder dans un lit moelleux alors que son mari se contentait d’une couche inconfortable et bien sommaire dans un environnement hostile. Huguette Mingam préférera dès lors dormir chaque nuit auprès de son fils, aussi pour soulager leurs terreurs respectives, ce qui n’était pas sans occasionner une forme de jalousie chez Anne-Marie, au point de s’interroger sur la bizarrerie de cette promiscuité inhabituelle surtout quand elle les surprenait allongés à chuchoter des prières front contre front, signe d’une complicité vivace, à rebours de ce qu’elle subissait. Elle en subissait des sévices par une mère un tantinet dépassée par une fille rétive à toute obligation à l’exemple de ses refus répétés de céder à la soupe et aux pâtés de tête. Et pour échapper à la sanction de la tapette à tapis, accessoire importé depuis Tébessa, régulièrement soustrait de son emploi d’origine, s’engageait entre la mère et la fille une course poursuite dans le jardin ou à travers le potager. Anne-Marie n’a alors que pour seul réconfort de sucer son index pour s’endormir tout comme elle le faisait petite, ce qui à le don d’agacer sa mère. Puisque les fenêtres occultaient la moindre forme physique des meubles du second étage, rendant les statuettes religieuses muettes, Huguette Mingam devrait en faire de même et poser un sinapisme sombre sur son désœuvrement. Seul comptait alors le bien-être des enfants, seules les prières répétées, exécutées avec cagoterie, soulageraient sa détresse à force de vœux à destination de son époux emprisonné, empêché par des fils de barbelés, lui espérant le moins pire. « Oh ! Guy ! Qu’il est loin mon pays, qu’il est loin le temps apaisé et béni de l’Algérie », se répétait-elle en boucle à elle-même. Emplie d’une foi chrétienne dès le plus jeune âge, celle-ci ne la quittera plus. En Vendée les occasions de cultes se multiplient et Huguette Mingam tient à honorer de sa présence et certainement avec ferveur, tout ce qui ne viendrait pas froisser son amour pour le Christ eu égard à ses antécédents.
Monseigneur Cazaux

Après Pâques, les fidèles yonnais, regroupés dans une foule dense pouvant compter plus de 3000 personnes au premier rang duquel se positionnait la famille Mingam, défilent dans la Procession de la « Fête-Dieu ». Huguette Mingam n’a pas de superlatifs suffisants pour décrire auprès de ses enfants les reposoirs qu’elle admet magnifiques. Avec les enfants elle se rendait invariablement aux messes dominicales célébrées dans l’Eglise Saint-Louis située au cœur du Pentagone. Le recueillement fut répété à la maison et les « Notre Père » s’enchaînaient quotidiennement à la lueur de bougies disposées sur une tablette au bas de l’escalier grimpant en colimaçon dans les étages. Voisine de la photo du Christ, Huguette Mingam avait placé celle de son mari. La photo de Monseigneur Cazaux, Prélat de Vendée, découpé à partir d’un article de presse de « l’Etoile de Vendée » complétait cet assemblage. Malgré les difficultés de transport, Huguette Mingam n’avait pas voulu manquer l’intronisation de Monseigneur Cazaux à Luçon le 30 décembre 1942. Les enfants et les Sœurs Clarisses du couvent de La Roche-sur-Yon l’accompagnèrent dans ce périple. Elles se massèrent le long du parcours de la procession et entamèrent des homélies en hommage au nouvel Evêque de Luçon. Au passage de Monseigneur Cazaux, les fidèles acclamaient discrètement celui pour lequel ils apportaient leur bénédiction. Les personnalités les plus éminentes et politiques du département se joignirent aux célébrations épiscopales et prirent place dans les premiers rangs de l’église. Préfet, Maires et Sénateurs reçurent les salutations de l’Evêque en soulignant avec joie « ce signe de charité et d’union qu’est la présence des autorités civiles à cette cérémonie. Tous ensemble nous travaillerons à refaire la France » Conclut-il. Evidemment il pourrait compter sur le concours des notables vendéens qui s’emploieront « à refaire la France » derrière le Maréchal Pétain, garant de traditions souveraines et rempart contre le Bolchevisme. Chacun gardait dans un coin de la tête, l’ancienne carrière militaire de l’Evêque qui participa au premier conflit majeur de 1914 puis avec le grade de capitaine à l’entame de la Seconde Guerre mondiale, avant d’être blessé pendant les combats de Saint-Hippolyte le 19 juin 1940. Ils se souvenaient aussi de son alignement sur les positions du Maréchal Pétain jusqu’à évoquer le « miraculeux Maréchal » dans un de ses discours. Si la puissance divine adoubait le Chef de l’Etat, il n’y avait pas à tergiverser, qu’importe le silence assourdissant de l’Evêque sur la question juive trouvant un écho quasi unitaire dans la population locale. Puisque aucune autorité qu’elle soit religieuse ou civile ne se prononçait défavorablement au sort réservé à leurs concitoyens, le problème juif n’existait évidemment pas en Vendée.
L’absence de Guy Mingam qui se prolongeait à partir de 1940, s’éternisant avec la guerre, pesa sur le moral de son épouse, et des craintes irrationnelles et enfantines rejaillissaient comme ce rêve, où petite fille, elle avait été kidnappée par des romanichels puis libérée dans des conditions très floues. Elle en gardait une peur ancrée au tréfonds de son âme et qui persista durant toute la guerre. Parfois la terreur était-elle qu’Huguette Mingam se cachait dans le couloir, accroupie derrière la porte d’entrée, obturant l’ouverture de la boîte aux lettres de crainte que les deux ou trois romanichels, qui passaient par là, s’ingénient à entrer dans la maison. Sur injonction pressante de leur mère, les enfants devaient se tapir dans un coin, le temps qu’elle estimait nécessaire pour que les « intrus » s’éloignent enfin. La soudaineté de ces agissements, guidée par on ne sait quelle intention, pétrifiait une beauté qui n’était pas prédisposée à supporter de tels désagréments. L’instabilité de ces sentiments dévorait, jour après jour et au fur et à mesure d’un désarroi qui la surpassait, les traits élégants de son visage. A tel point que la crispation quasi permanente dont elle supportait la sentence mystique depuis le décès de leur aînée, accélérait un vieillissement bien trop prématuré, que le port de vêtements partiellement limés à force d’être régulièrement vêtis, à usage exclusivement domestique, s’accommodait mal avec un passé bien plus prestigieux, d’une fulgurance telle qu’il paraissait vain de s’époumoner à conter l’authenticité. Quand bien même elle fouissait dans sa mémoire, elle ne faisait que froisser ce qu’elle conservait en pâture à la nostalgie. Au moins, en Algérie elle baignait dans le confort d’une réussite familiale, celle de ses parents, A.L. et Marie-Jeanne Pignol, gérants d’un hôtel prisé par les européens de passages à Tébessa. Contrairement à ici, où l’humiliation et l’indigence sévissaient dès l’aurore au point parfois de ne plus pouvoir laver les vêtements en attente de soude caustique en provenance de Paris pour fabriquer du savon, le quotidien était alors rythmé par l’allégresse et l’insouciance que les visites de ses amies, Edwige et Alice, justifiaient, lesquelles honoraient pleinement leur complicité. Ensemble, elles se travestissaient pour des bals organisés par les « Dames de la Charité » très en vue à Tébessa. Elles allaient jusqu’à féliciter le patriotisme français par quelques représentations théâtrales, des scénettes en costume glorifiant l’histoire de France. On usait à loisir de la voiture pour aller se balader avec des proches dans le département de Bône, quand Guy Mingam échappait au contingentement. Mais Huguette Mingam est orpheline d’autre chose, d’un instrument dont elle s’adonnait à la musicalité, son piano. Après son passage au Conservatoire des Beaux-arts à Alger dans les années 20, ses parents firent l’acquisition d’un piano qu’ils placèrent dans la cour intérieure de leur Hôtel. Grâce à l’entente entre l’instrument et la musicienne, la notoriété de l’établissement ne se démentit plus, s’amplifiait même à entendre les notes de musique classique et d’opérettes de Lakmé, très à la mode en Occident dans les Années Folles. On avait bien tenté lors d’une cérémonie organisée pour l’arrivée des Mingam, dans l’enceinte militaire de la Roche-sur-Yon, après l’insistance de Guy Mingam, d’asseoir son épouse au piano, installé dans la salle de réception. Cependant, si son récital créa un enjouement unanime, il ne put être renouvelé à cause des hostilités allemandes.

L’émancipation des esclaves noirs aux États-Unis : un exemple en trompe-l’œil. Part. 4

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