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L'émancipation. Intro et première partie : naître à soi-même
L'émancipation. Partie II : le combat des femmes et du peuple
L’émancipation collective et politique : le destin d’un peuple
Si
l’émancipation personnelle est une conquête intime et l’émancipation sociale
une lutte collective, alors l’émancipation politique est leur horizon commun.
Elle ne se mesure pas seulement à l’aune du pouvoir conquis, mais à la capacité d’un peuple à se penser lui-même, à nommer sa propre histoire, à
choisir ses appartenances et son avenir. C’est, au fond, la forme la plus haute
de la liberté : celle d’un peuple qui refuse de n’être qu’un administré.
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| Démocratie et autodétermination bretonne |
1. L’idée bretonne : entre conscience et résistance
L’émancipation
d’un peuple ne se décrète pas, elle s’éveille. En Bretagne, cette conscience
s’est longtemps nourrie de silence, de fierté discrète et de mémoire refoulée. Le
mouvement breton, ou Emsav,
émerge au début du XXᵉ siècle, dans un contexte où la République française impose
son modèle centralisé et son idéal d’unité. Mais cette unité, confondue avec
l’uniformité, a souvent nié la diversité des peuples qui la composent.
Les premiers intellectuels bretons — de Camille Le Mercier d’Erm à Émile Masson — ont compris que la vraie fidélité à la Bretagne ne consistait pas à s’enfermer dans le passé, mais à penser la liberté à partir d’elle. Leur combat n’était pas seulement identitaire : il était fédéraliste, ou libertaire et socialiste. Ils ne cherchaient pas une indépendance de repli, mais une autonomie d’ouverture, fondée sur la coopération et la dignité.
2. L’autodétermination trahie
Après
la Seconde Guerre mondiale, les lignes se brouillent au fil des décennies. Le
discours d’émancipation bretonne se divise : d’un côté, une gauche régionaliste
qui revendique l’autonomie au sein de la République ; de l’autre, une droite
nationaliste groupusculaire qui dérive
vers l’exclusion. Cette polarisation a vidé le mot émancipation de sa force politique. Elle a
réduit une idée de justice à une querelle de partis.
Comme le souligne le juriste Yvon Ollivier, « l’Emsav s’est laissé récupérer par le Parti socialiste », et la principale victime de ce clientélisme fut précisément l’émancipation elle-même. En cherchant la reconnaissance de l’État, le mouvement a perdu une partie de son âme : celle de la contestation. Il a troqué la révolte contre une place dans l’ordre établi.
L’autodétermination, au sens noble, ne consiste pas à rejeter les autres, mais à assumer la souveraineté de son propre destin collectif. Elle ne vise pas la séparation, mais la responsabilité : celle d’un peuple qui choisit de décider pour lui-même, non contre les autres.
Aujourd’hui
encore, cette idée persiste dans les courants indépendantistes d’extrême gauche,
qui appellent à un référendum sur l’avenir de la Bretagne et à sa réunification
historique. Mais au-delà des positions politiques, une question demeure : la
France peut-elle accepter qu’un peuple veuille être autonome sans être dissident ?
3. La
politique contre l’émancipation ?
Le
philosophe Jacques Rancière distingue deux
versants de la politique : l’un, institutionnel, vise à organiser le pouvoir; l’autre,
émancipateur, cherche à redistribuer la parole, à donner voix à ceux qu’on ne
veut pas entendre.
Or, dans le modèle français, le premier a étouffé le second. La politique n’est plus cet espace de délibération collective qu’elle prétend être : elle est devenue l’art de gouverner à la place des autres. Ainsi, comme le rappelle encore Yvon Ollivier, « la politique française nous prive, nous Bretons, de la politique entendue comme la capacité d’affronter les véritables problèmes qui se posent à la société ».
L’État jacobin, fort de sa mission “civilisatrice”, a toujours confondu égalité et homogénéité. Mais on ne libère pas un peuple en le forçant à être semblable. On ne crée pas l’unité par la négation de la différence. L’émancipation collective suppose au contraire la reconnaissance des singularités : c’est la diversité qui rend la communauté vivante.
4. Le confédéralisme libertaire : une autre voie
L’idée d’un confédéralisme libertaire, chère à certains penseurs contemporains, propose une issue féconde : celle d’une organisation politique fondée non sur la domination verticale, mais sur la coopération horizontale. Chaque pays, chaque commune, y trouve sa place, non en fonction d’un pouvoir central, mais par la libre association des volontés.
Ce modèle, inspiré par Murray Bookchin, vise à détruire l’État, à le rendre inutile dans ses fonctions originelles et institutionnelles. Il repose sur la confiance, la solidarité, la capacité d’autogestion. C’est un pari audacieux : celui de croire que les peuples, quand ils sont éclairés et responsables, peuvent se gouverner par eux-mêmes.
L’émancipation collective ne s’oppose pas à l’unité : elle en redéfinit le sens. Elle ne cherche pas la rupture pour elle-même, mais la reconstruction du lien social sur des bases choisies et consenties. La Bretagne, par ses langues, son identité et son histoire, rappelle à la France ce que celle-ci tend à oublier : que la liberté est d’autant plus forte qu’elle s’enracine dans la diversité.
L’émancipation
d’un peuple n’est jamais close. Elle se réinvente à chaque génération, comme
une mémoire vigilante. Et peut-être, comme le pensait Émile Masson, n’y a-t-il
pas de révolution plus juste que celle qui cherche à unir la dignité du peuple
et la liberté de l’homme.
Dehors, la pluie de janvier s'est libérée et a redoublé ses ondées pour disperser le froid, son complice. Elle s’arrache d’un gris plat à toucher les toitures, lacère fort le sol, boursouflé par des giclées folles. Elle fait des tentatives obsessionnelles pour s’infiltrer partout, une forcenée, sous pression, qui aurait été lâchée par tous les pores des cieux pour tenter d’endiguer l’outrecuidance d’un oncle. Pinard parvient à émerger de cette mélasse et l’essore dans de larges coups de reins à l’entrée de la maison. Au mur, les sabots de la grand-mère, Marie Goasdu, suspendus sur ses maigres clous rouillés, abandonnés à leur sort, ont été dévastés par l’indifférence. Les soins qu’elle prodiguait pour les peindre ont inexorablement craquelé sous l’avalanche des coups de vent ou pelé à cause des torrents de gouttelettes. Les fleurs qu’elle plantait pour les embellir, ont flétri depuis fort longtemps. En lieu et place, la misère s’est glissée dedans, signe extérieur d’un naufrage intérieur. En les arrachant de la façade, René se battra contre cette fatalité.
Le lendemain soir, jeudi 19 janvier
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| Mon grand-père |
Le vent a soudain cessé de soûler ce reg léonard laissant le vide à la nuit qui s’évapore sous une pluie collante, drue, exacerbée. Des naufragés, René Derrien est de ceux-là, se trouvent emmaillotés dans ces cordes glaciales qui cisaillent en chutant la lumière ténue des lampadaires des rues de Saint-Pol-de-Léon. Toute cette fronde hivernale mouille les pensées, éclabousse les chaussures. Elle se fracasse sur les tôles des hangars, se cogne contre les volets de Kermi. Le quartier s’est livré, soumis, à l’obscurité à peine perturbée par quelques liserés qui s’échappent du globe du foyer des Gueguen. Dans les rigoles, l’eau se défile avec hâte entre les maisons, apeurée sûrement à l’idée du retour de l’accalmie. Elle déambule sur la pente, chahute et crapahute même comme les rats, enfin avale sur son passage les traces et les souvenirs de la journée. L’eau agit comme le vin. Elle croit pouvoir débarrasser l’ombre de ces oripeaux qui pourtant s’entassent et se noient dans le fossé à l’avant des maisons du « Bas », finissant par souiller les apparences.
René Derrien est trempé jusqu’aux tréfonds, ses vêtements lestés. Des mèches de ses cheveux dégringolent sur les tempes. Il se bat une première puis une seconde fois avec les parois de l’étroit vestibule. Malgré les secousses de la cloison, personne n’a surgi de l’appartement. Molly et leurs enfants consomment la nuit, abrutis par les efforts de la journée. Les Le Nan du 1er étage n’ont pas bronché. Peut-être que ce remue-ménage leur est suffisamment familier pour ne pas les alerter. Puis, le locataire peste contre l’ampoule claquée du couloir, pas changée, bon sang ! Dans la semi pénombre il s’enferre dans ses chaussures, cependant, vaillamment, les déchausse, pas trop tôt. Il se rend compte à tâtons qu’elles sont totalement gluantes à cause de la sente des marécages, avec une tonne de boue dans les mains, fait chier ! Ses chaussettes pisseuses pendouillent maintenant figées dans le froid. En dépit de son engourdissement, cette image lui saisit l’esprit et vient gonfler ses tympans, fait chaud. Il est assis là, depuis plusieurs minutes, écrasant les godasses des enfants, à tenter de dompter un souffle qui ne lui appartient plus. Au contraire. La cadence s’accélère. Grâce à son ivresse, il a pris une décision définitive, enfin ! Il y a longuement réfléchi. Ce n’est pas le fait du hasard. C’est sa décision et personne ne viendrait le faire changer d’option, sûrement pas ! Tout en tentant de se relever, ses mains s’agitent dans le vide, à la recherche d’un support. A défaut d’un appui, il doit se pencher sur le côté et, grâce à la traction fébrile des bras, parvient à se redresser, bordel ! Pour éviter d’avoir le souffle coupé, il halète tel un taureau qui expire. Avant de pousser la porte il a pensé à retirer ses vêtements, empilés, en vrac, copieusement arrosés. Il a tout de même gardé le fil électrique. Il entre. Le slip est flasque, le tricot qui flapie, le cerveau enseveli n’a qu’une vision. L’ambiance est chargée de l’haleine de ceux et celles qui sont assoupis depuis une petite heure. Avec Molly, il y a cinq enfants, dont Marc, l’aîné des garçons, recroquevillé dans un lit qui fait barrage aux velléités du vieux. Au passage dans la première pièce, à part lui, rien n’a chaviré. Le choc porté à l’entrée du salon réveille Marc. L’horloge Westminster vacille elle sur son clou, tremble légèrement mais ne s’affaisse pas. Marc souffle et se crispe sous la couette : « Bordel ! Il est encore bourré. » Les aiguilles de l’horloge tanguent et sonnent. René Derrien devine qu’il est 21 h. Il est temps. Les gestes n’ont pas été répétés, de toute façon il n’a pas besoin de s’exercer : « C’est simple. Tu peux le faire. Allez ! » Se sermonne-t-il pour se donner de l’entrain : une chaise pour grimper dessus, un nœud autour de la barre du rideau de la fenêtre puis une boucle autour du cou. Toutefois, la peur tétanise les muscles des jambes compliquant l’escalade sur la chaise. Elle en devient vertigineuse, à moins que ce soit l’ivresse qui le fasse encore osciller ? Il ne faut pas chuter, ça risquerait de les secouer.
Je suis à la recherche de quelques personnes pour créer un groupe de lecture autour du thème des pensées et des actes de l'Anarchie. Débats, discussions et réflexions sur nos lectures respectives jeteraient les bases de notre enrichissement à la fois collectif et individuel. Les sources, les auteurs, les maisons d'édition et les livres ne manquent pas pour faciliter la création d'une maison commune. À terme nous pourrions former une médiathèque par exemple.
Je propose que les premières rencontres se fassent à mon domicile au 36 rue de cornouaille à Plougastel-Daoulas afin d'imaginer des règles de cohésion pour monter ce groupe.
Première partie : naître à soi-même
https://dderrien.blogspot.com/2025/10/lemancipation-intro-et-premiere-partie.html
Deuxième partie
L’émancipation sociale et politique : le combat des femmes et du peuple
Si
l’émancipation individuelle est la première conquête, l’émancipation sociale en
est la conséquence naturelle. Elle suppose que l’être humain, conscient de sa
dignité, refuse désormais les structures de domination qui limitent son
expression ou exploitent sa force. Mais, à la différence des révolutions
spectaculaires, l’émancipation sociale ne se conquiert pas dans la fureur des
armes : elle se bâtit dans la durée, dans la lente désobéissance à l’ordre
établi, dans la recherche obstinée d’une égalité réelle.
1. Le
travail : promesse et servitude
On
a voulu faire croire que le travail libérait, qu’il suffisait d’obtenir un
emploi pour devenir indépendant. En réalité, dans une société où le travail est
soumis au capital, il devient souvent l’instrument même de la dépendance. L’émancipation
ne peut s’accommoder d’un travail qui aliène, qui
mesure la valeur humaine à la productivité ou au chiffre.
Les femmes, en accédant massivement au marché du travail au XXᵉ siècle, ont conquis une autonomie essentielle, mais à quel prix ? Beaucoup ont cru trouver dans cette participation économique une reconnaissance, sans voir que le modèle dominant — masculin, compétitif, capitaliste — ne faisait que déplacer les frontières de la contrainte. Ainsi, l’émancipation promise s’est parfois muée en double servitude : celle du travail et celle du foyer.
Les inégalités persistent. Les salaires restent inégaux, la précarité plus forte, la charge domestique plus lourde. Et pour celles qui ont gravi les échelons, la liberté se paie souvent d’un renoncement : adopter les codes de l’entreprise, gommer sa singularité, se modeler sur une autorité masculine. Le féminisme, pourtant, est né d’une autre idée : non pas imiter le pouvoir, mais le réinventer.
2.
Féminisme et anarchisme : un même souffle
L’histoire de l’émancipation des femmes ne se comprend vraiment qu’à la lumière de l’anarchisme. Avant même de réclamer des droits civiques, les premières féministes affirmaient un principe radical : aucun être humain n’a à dominer un autre. Leur combat n’était pas seulement contre les hommes, mais contre l’ensemble d’un système patriarcal, religieux et capitaliste qui enfermait l’humanité dans des rôles figés.
Dans
cette perspective, la liberté féminine ne se réduit pas à des acquis juridiques
ou à l’égalité des salaires : elle vise une transformation du rapport même au
pouvoir. On ne s’émancipe pas seulement par la loi, mais par la remise en cause de la hiérarchie.
Cependant,
les conquêtes ne suffisent pas. Le droit de vote, obtenu tardivement, n’a pas
empêché la reproduction des inégalités. L’accès au travail n’a pas aboli
l’exploitation. Et la contraception, si elle a permis de disposer de son corps,
n’a pas mis fin à la violence conjugale ni à la dépendance économique. C’est
dire que la liberté proclamée peut rester formelle
tant que les conditions matérielles et symboliques de l’émancipation ne sont
pas assurées.
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| Affiche publiée en 1917 : ramassage des pommes de terre dans l'Oise |
3.
L’illusion du progrès
Le capitalisme a su se parer des couleurs du progrès social. Il a fait du travail une vertu, de la réussite une obligation, de la liberté un slogan. Mais dans les faits, il entretient les inégalités qu’il prétend combattre. Ceux qu’il libère du besoin, il les asservit au rendement ; ceux qu’il élève, il les sépare.
La guerre de 1914-1918 en fut un exemple amer : on a vanté la participation des femmes à “l’effort national”, sans voir que leur “libération” n’était qu’un prolongement de la servitude, mise au service d’un conflit absurde. L’Union sacrée a instrumentalisé l’émancipation pour mieux la contenir.
Ainsi, l’histoire sociale montre que la liberté concédée n’est jamais que la marge que le pouvoir accorde pour se maintenir. La véritable émancipation, au contraire, naît toujours d’un refus : refus de servir, refus d’obéir, refus de se taire.
4.
Émancipation et responsabilité collective
S’émanciper ne signifie pas s’isoler. C’est reconnaître que la liberté n’a de sens que partagée. La société, pour être juste, doit offrir à chacun les moyens de s’affranchir de la misère, de la peur et de l’ignorance. Cela suppose non pas une charité d’État, mais une solidarité active, une réinvention du commun.
C’est ici que la pensée libertaire rejoint le féminisme : elle fait de l’égalité non pas une revendication, mais une éthique. Elle invite à repenser les rapports humains à partir de la coopération, de l’écoute, de la mutualisation. Et si les femmes ont souvent été en première ligne de cette transformation, c’est qu’elles portent en elles — par expérience et par nécessité — une conscience plus aiguë des déséquilibres du pouvoir.
L’émancipation
sociale et politique n’est pas une promesse d’abondance, mais un apprentissage
de la responsabilité. Elle commence quand le travail cesse d’être une
servitude, quand l’autorité cesse d’être un privilège, quand l’égalité devient
une pratique et non un idéal abstrait. C’est là le sens profond du combat
anarchiste : libérer l’humain de toute tutelle, qu’elle
soit économique, religieuse ou patriarcale. Non pour instaurer le chaos, mais pour rendre à chacun la pleine
possession de sa vie.
Troisième partie à suivre : L’émancipation collective et politique : le destin d’un peuple
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Particularités :
"le tiret du 6" est accepté. Ex : Nevez-amzer
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Dans son livre "Désobéissance civile et démocratie" (paru en 2010 aux éditions Agone), l'historien américain, Howard Zinn, aborde le dilemme entre, le recours à la justice dans le cas de situations extrêmes ou l'application stricto-sensus de la loi. Pour développer sa réflexion, l'auteur s'appuie à plusieurs reprises sur l'exemple de la guerre au Vietnam et les nombreuses manifestations hostiles, citoyennes et non violentes qui ont remis en cause cette guerre à travers la désobéissance civile mais se sont retrouvées hors la loi (dégradations de biens privés, etc.) selon les décisions de juges intransigeants. À n'en pas douter sa démonstration est convaincante et abonde dans le sens de la justice. Cependant, l'historien est Américain et non Français. En France, la législation en matière d'application de la loi fait intervenir d'innombrables acteurs surtout lorsqu'ils sont réfractaires à son bon usage et notamment quand il s'agit des questions environnementales. C'est sur ce point que l'on peut diverger quelque peu avec Howard Zinn, car les règles en matière d'environnement en France sont définies de façon précise et rigoureuse et sont censées protéger efficacement la biodiversité. Dans les faits, la situation est toute autre et relève de l'imposture.
La première étape, dans le cas d'un régime parlementaire adossé à un pouvoir exécutif, admet un principe législatif qui repose sur deux approches : un projet de loi ou une proposition de loi. Cette loi est débattue à l'Assemblée nationale et au Sénat et fait l'objet de navettes parlementaires entre les deux chambres, la première détenant le dernier mot grâce à l'expression à la majorité par un vote décisif. Après la loi, suivent les décrets d'application et les actes administratifs, ce que l'on nomme dans cette seconde étape "la hiérarchie des normes" en les ajustant en fonction des particularités régionales (comme l'escargot de Quimper pour la Bretagne dans le cas de l'inventaire élargie des espèces protégées). La dernière strate, et pas la moins déterminante, consiste à ce que l'Administration s'approprie la loi, et par ricochet respecte la Constitution. Le chef d'un des secteurs de cette administration délocalisée, non élu avec une délégation de pouvoir considérable s'appelle le Préfet ou la Préfète, intervenant au nom de l'Etat sur tout le département et dans de nombreux domaines de compétences.
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| L'escargot de Quimper repéré sur le site du projet TAM III à Plougastel-Daoulas |
Si on s'en tient au pôle "Eau et biodiversité" de la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer rattachée à la préfecture), à bien des égards et en dehors de tout contrôle législatif, la tentation est grande de tergiverser lorsque le Préfet obtempère aux sollicitations insistantes d'interlocuteurs représentants l'agriculture, l'économie, la politique (et l'urbanisme) ou bien encore la chasse. Dans de nombreux cas, ils peuvent obtenir des dérogations. Tout commence avec la directive européenne "Habitats-Faune-Flore" (92/43/CEE) du 21 mai 1992. Cette directive impose aux États membres de protéger strictement certaines espèces animales et végétales. Mais elle prévoit aussi la possibilité de dérogations, dans des cas exceptionnels, à condition de ne pas nuire au maintien des populations dans un bon état de conservation, et de répondre à certains motifs précis (exemple : santé publique, sécurité, intérêt public majeur, recherche scientifique…). Transposée en droit français, l’article L411-2 introduit les dérogations comme suit : “Des dérogations peuvent être accordées (…) à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées.” Pour être légale, une dérogation doit respecter trois conditions cumulatives : pas d’autre solution satisfaisante, pas d’atteinte au maintien des espèces concernées et un motif valable. Or, à force de vouloir satisfaire aux exigences de lobbys et/ou aux élus, les cas de dérogations ne paraissent plus exceptionnelles mais semblent devenir la norme. Or, comment un représentant de l'Etat, sans mandat électif, n'ayant pas de compte direct à rendre aux législateurs, peut-il avoir autant de marges de manoeuvre sans que cela pose le moindre problème par rapport au respect de la loi ? L'interprétation excessive de la dérogation à la loi pourrait d'ailleurs s'apparenter à un abus de pouvoir.
Rien que pour le Finistère, le Préfet par arrêté préfectoral de 2024 a autorisé l'abattage de 8000 choucas des tours. 8000 choucas sur une population estimée entre 50000 et 140000 individus* soit environ 10 % de la population. Quel organisme a demandé à agir ? La Chambre d'agriculture détenue par la Fdsea, sous prétexte de destructions des cultures et notamment du maïs. Sur les dix dernières années, plus de quinze arrêtés** ont été pris portant dérogation concernant la destruction d'innombrables espèces protégées et de leurs aires de repos et de reproduction à des fins plus que discutables : carrières, élargissement de routes, complexe sportif, etc.. À force se posera la question incontournable de la conservation favorable des espèces et le maintien suffisant de leurs populations sinon nous risquerions de voir réduit à la portion congrue de nombreuses espèces que la législation devait censément protéger.
D'ailleurs, quand la députée ou le député revient dans sa circonscription ose-t-il interférer auprès du Préfet pour exiger un sort plus républicain de la loi ? On peut faire le pari que non. Alors, à quoi sert un régime parlementaire s'il laisse à des intouchables haut-fonctionnaires zélés, le devenir de notre biodiversité ? Et plus largement de l'environnement. Quel sens cela a-t-il de rédiger des lois si on peut les détricoter à la moindre sollicitation d'élus qui corrompent leur fonction et ainsi ouvrir des brèches démocratiques ? À vouloir tous nous considérer comme des oies, certains ont fini tout de même par s'interroger et ont compris le jeu de dupes qui se déroulait sous leurs yeux.
* chiffres de l'avis 2023-19 de la Dreal Bretagne de 2023
** ceux-ci listent l'escargot de Quimper et la vipère péliade. Il peut exister plusieurs autres arrêtés sans que ces espèces soient concernées.
L'émancipation. Intro et première partie : naître à soi-même https://dderrien.blogspot.com/2025/10/lemancipation-intro-et-premiere-parti...