Documentaire écrit
Récit inspiré de faits réels
Reconstitution historique
La
clarté peinait à s’imposer sur Saint-Paul-d’Espis pendant que la famille
Gilbert se résignait à abandonner ce qui avait été le foyer de plusieurs
générations. La brume, aveuglante, s’étalait et s’attardait encore entre les
vergers, fuyant sur les toits de tuiles rouges et les collines environnantes,
comme pour envelopper d’un linceul cet endroit qui leur avait été si familier.
Antoine Gilbert, s’était dressé bien avant l’aube. Ses mains, rendues calleuses
par des années de travail de la terre et du bois, ajustaient les harnais sur
les chevaux attelés à la charrette. La carriole, modeste mais solidement
construite avec ses propres moyens, était bondée de tout ce qu'ils avaient
accumulé : quelques meubles, des outils précieux, et une poignée de souvenirs
soigneusement emballés qui surchargeait le convoi. Jeanne Gilbert s’affairait
autour des jeunes enfants à l’intérieur de leur maison étrécie de l’enlèvement
du principal mobilier. Elle fit l'inventaire mental de ce qu'ils allaient
reléguer aux souvenirs. Dans chaque objet, dans chaque recoin de la maison
surgissait un moment de leur vie éprouvée ensemble: la boustifaille maintes fois
bectée autour de la robuste table, l’agitation des enfants qui trottinait
autrefois dans la pièce, les soirs d’hiver clapis au coin de l’âtre. Les yeux
confus, elle jeta un dernier regard autour d’elle, le cœur amolli par
l’émotion. Ses mains tremblèrent légèrement lorsqu’elle glissa le crucifix
familial dans un sac en toile, une relique transmise de mère en fille, qui
devait leur garantir une protection dans ce nouveau monde vers lequel ils confiaient
leur sort. Antoine Gilbert-fils, âgé de treize ans, observa la scène en
retrait. À son âge, il comprit déjà la gravité du moment, bien que son esprit
fût encore plein des rêves d’aventure qu’éveillait en lui l’idée de partir pour
l’Algérie. À ses côtés, ses sœurs plus jeunes ne saisirent pas l'ampleur du
changement qui devrait plus tard les stupéfier. Ils regardaient leurs parents
avec une confiance naïve, sécurisés par la présence imposante de leur père,
dont la stature et la force semblaient capables de tout submerger.
Leur décision de migrer vers l'Algérie, cette inconnue lointaine que les rumeurs ajoutaient à l’envoûtement, avait été empreinte d’interrogations. Toutefois et peut-être sur injonction pressente de Michel Gary, les ultimes réticences s’effacèrent devant l'ombre de la misère qui s’abattait sur leur village, les mauvaises récoltes successives et l’absence de perspectives pour leurs enfants. Tout s’enchaîna ensuite selon les prévisions de Michel Gary. Trois mois avaient suffi à l’exécution des différentes obligations administratives. Une certaine somme d’argent avait été versée à Michel Gary en prévision des dépenses liées au transport et aux premières nécessités dès la traversée de la Méditerranée achevée. Le ciel, ce matin-là, se barbouillait d’un bleu indéfini, à mesure que le soleil s’extirpait des ténèbres, crispé sur l’horizon. Antoine Gilbert sentit une boule se tapir dans sa gorge en s’attardant sur les vécus de ses parents, de ses grands-parents, et à tous les Gilbert avant eux qui avaient soulagé par leur travail cette terre. Il se demanda, au point de le tracasser, si partir serait pareil à une infliction qu’il ferait subir à leurs existences ou, au contraire, une tentative hasardeuse de poursuivre leur héritage ailleurs. Il inspira profondément, cherchant à déjouer ces ressentiments. Il n’avait pas le choix, il fallait être robuste pour sa famille, pour Jeanne et les enfants. La charrette était enfin complète. Antoine Gilbert aida son épouse à monter, suivie des enfants qui s’installèrent tant bien que mal sur les ballots. Puis il se retourna une dernière fois vers la maison, vers les champs qui s’étendaient à perte de vue, convoités par la seule lumière pâlotte et blafarde du matin déshabillée avec paresse de la brume collante. Une prière muette s’échappa des lèvres de Jeanne Gilbert. Après un claquement de langue, Antoine Gilbert fit avancer les chevaux. La charrette se mit en branle, titubant sur le chemin qui les emportait loin du village. A les écouter, le bruit âpre des roues sur les cailloux résonnait tel un piteux orchestre. À mesure qu'ils s'éloignaient, le village de Saint-Paul-d’Espis devint indéfinissable, jusqu'à ne plus être qu'une croûte sur son monticule. Le cœur engourdi mais empli d’une détermination indéfectible, Antoine Gilbert ne déviait plus les yeux du chemin qui se perdait maintenant devant eux, un chemin long de jours et de nuits avant d’atteindre Marseille. Leur avenir, imprévisible et pourtant si prometteur, séjournait à Gastu sur une concession de plus de25 ha
de terres.
Leur décision de migrer vers l'Algérie, cette inconnue lointaine que les rumeurs ajoutaient à l’envoûtement, avait été empreinte d’interrogations. Toutefois et peut-être sur injonction pressente de Michel Gary, les ultimes réticences s’effacèrent devant l'ombre de la misère qui s’abattait sur leur village, les mauvaises récoltes successives et l’absence de perspectives pour leurs enfants. Tout s’enchaîna ensuite selon les prévisions de Michel Gary. Trois mois avaient suffi à l’exécution des différentes obligations administratives. Une certaine somme d’argent avait été versée à Michel Gary en prévision des dépenses liées au transport et aux premières nécessités dès la traversée de la Méditerranée achevée. Le ciel, ce matin-là, se barbouillait d’un bleu indéfini, à mesure que le soleil s’extirpait des ténèbres, crispé sur l’horizon. Antoine Gilbert sentit une boule se tapir dans sa gorge en s’attardant sur les vécus de ses parents, de ses grands-parents, et à tous les Gilbert avant eux qui avaient soulagé par leur travail cette terre. Il se demanda, au point de le tracasser, si partir serait pareil à une infliction qu’il ferait subir à leurs existences ou, au contraire, une tentative hasardeuse de poursuivre leur héritage ailleurs. Il inspira profondément, cherchant à déjouer ces ressentiments. Il n’avait pas le choix, il fallait être robuste pour sa famille, pour Jeanne et les enfants. La charrette était enfin complète. Antoine Gilbert aida son épouse à monter, suivie des enfants qui s’installèrent tant bien que mal sur les ballots. Puis il se retourna une dernière fois vers la maison, vers les champs qui s’étendaient à perte de vue, convoités par la seule lumière pâlotte et blafarde du matin déshabillée avec paresse de la brume collante. Une prière muette s’échappa des lèvres de Jeanne Gilbert. Après un claquement de langue, Antoine Gilbert fit avancer les chevaux. La charrette se mit en branle, titubant sur le chemin qui les emportait loin du village. A les écouter, le bruit âpre des roues sur les cailloux résonnait tel un piteux orchestre. À mesure qu'ils s'éloignaient, le village de Saint-Paul-d’Espis devint indéfinissable, jusqu'à ne plus être qu'une croûte sur son monticule. Le cœur engourdi mais empli d’une détermination indéfectible, Antoine Gilbert ne déviait plus les yeux du chemin qui se perdait maintenant devant eux, un chemin long de jours et de nuits avant d’atteindre Marseille. Leur avenir, imprévisible et pourtant si prometteur, séjournait à Gastu sur une concession de plus de
Après
une traversée périlleuse due à une sérieuse tempête, le port de Philippeville
qui se soumettait enfin à leur vision, scintillait dans la lumière éclatante du
soleil méridional prétendu enlaçant. Après des instants éprouvés par le voyage,
la famille Gilbert surprit la périphérie littorale d’un pays dont on leur avait
tant rabâché la beauté. Antoine Gilbert, le regard figé sur cette côte qui se
détachait à mesure qu’ils approchaient de leur destination, ressentait un
mélange complexe de soulagement et d’appréhension. Derrière lui, Jeanne Gilbert
serrait la main de leur plus jeune fille, tentant de combattre son inquiétude
par un sourire arrangeant. Pour les enfants, ce nouvel environnement était
source d’excitation, une aventure que leurs jeunes esprits associaient avant
tout à des histoires de pirates et de trésors perdus. Autour d’eux, le
tintamarre du bateau qui accostait, se mêlait aux vociférations des marins, aux
raillements des mouettes, et à l’agitation des passagers impatients de poser
pied à terre, soulagés à l’idée de se désamarrer définitivement de cette
embarcation. Mais à peine accédèrent-ils au sol algérien que l’atmosphère
s’imposa à eux avec une rudesse inattendue. Le port grouillait d’une activité
incessante de dockers outragés par une chaleur qui déferlait sur leur peau
particulièrement badigeonnée, tandis que les colons, fraîchement soulagés de
leur ballonnement, tentaient de se repérer au milieu de cette effervescence
chaotique. La langue arabe, impénétrable, mélangée au français parfois criard
des officiers coloniaux, qui supervisaient le débarquement des nouveaux venus,
bruissait de tous côtés. Pour les Gilbert, ce premier contact avec l'Algérie
fut un choc culturel. Rien ne ressemblait à ce qu’ils avaient auguré. A part
Michel Gary qui les accueillit comme indiqué à l’entrée du port. Il arborait un
large sourire, comme pour dissimuler la tension palpable des quais. « Bienvenue
en Algérie ! » S’écria-t-il en les rejoignant, bras béants, trop peut-être au goût d'Antoine Gilbert. Son
enthousiasme sonnait curieusement creux à ses oreilles. Les
promesses d’une vie prospère qu'il avait tant accommodée, s’effilochaient déjà
face à la dureté du climat et à l'agitation désordonnée qui les enserrait.
« Alors ? Et ce voyage ? Vous n’avez pas été trop secoués au
moins ? Michel Gary était à son aise, étrangement accoutré selon les
premières observations d’Antoine Gilbert, détail qui ne l’avait pourtant pas
alerté lors de leur entrevue à Saint-Jean-d’Aspis,
- Compliqué, lui rétorqua évasif et avare de mots le cultivateur, tout absorbé à l’ambiance grouillante des quais,
- Bien. Suivez-moi, nous allons nous éloigner du port. Nous allons pouvoir continuer à discuter à notre aise dans un troquet tout proche. Nous viendrons récupérer les chevaux et vos affaires quand la douane aura fait son travail. J’ai fait le nécessaire pour les formalités. »
- Compliqué, lui rétorqua évasif et avare de mots le cultivateur, tout absorbé à l’ambiance grouillante des quais,
- Bien. Suivez-moi, nous allons nous éloigner du port. Nous allons pouvoir continuer à discuter à notre aise dans un troquet tout proche. Nous viendrons récupérer les chevaux et vos affaires quand la douane aura fait son travail. J’ai fait le nécessaire pour les formalités. »


Je lis avec grand intérêt tout ce qui a trait à la colonisation de l'Algérie. Et donc forcément à tes écrits. J'attend la suite avec impatience. Voilà, voilà...Bien cordialement, JP
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