"On n'avance pas, des fois, j'ai l'impression, dans tout ce qui devrait être réglé depuis longtemps : la langue*, la Loire-Atlantique**, les départements, ça devrait être fait depuis longtemps. On a d'autres soucis à régler. Ca devrait être réglé depuis tellement longtemps. Et je suis très triste qu'on en soit encore là...". Ces propos ont été tenus par l'artisan Dan ar Braz au cours du journal "Bonjour Bretagne" du 19 décembre 2024 sur Tebeo. Sans remettre en cause un seul instant les paroles désabusées du musicien, effectivement, il existe d'autres soucis en Bretagne en plus de ceux qu'il évoque. Et ces soucis sont nombreux et se rapprochent toujours davantage vers le déclin quand on accepte de regarder la réalité en face : la Bretagne se meurt de son assimilation à la France.
A regarder encore de plus près, la greffe de la politique de l'acculturation a produit des effets bien mieux acquis que ne l'aurait provoqué les champs de bataille : il fallait, et il faut certainement encore, chez le Breton de Province, se traumatisant dans son syndrome d'infériorité, être plus Français que le Français ! Ces effets, ou ces poisons, sont multiples et divers. Pour ma part je retiendrai quelques exemples navrants, excluant d'office celui du député français Paul Molac, notre Théodore Botrel contemporain.
Je commencerai par le succès du livret sur les bretonnismes recueillis par Hervé Lossec***. Je considère que ce recueil n'est ni plus ni moins que le ramassis d'un bâtardisme linguistique à une époque où la coexistence du français et du breton entamait sa marche forcée vers l'anéantissement volontaire d'un idiome multiséculaire. Comment peut-on alors se féliciter d'un tel désaveu ? D'une telle publication ? Cette bâtardise était bien de son époque et un signal de notre dépossession, loin d'être hilarant. A l'évidence, les bretonnismes ne sont que les avatars d'une colonisation (presque) réussie.
Tout comme l'est la réappropriation de figures ou de symboles emblématiques de notre pays à des fins commerciales. Dans ce domaine les exemples ne manquent pas mais je m'attarderai sur le cas des masques fabriqués par l'ex-entreprise "Diwall", basée à Ploudaniel (décidément), et vendus dans les commerces lors de la Covid. Figurez-vous que je connais l'ancien responsable commercial de l'entreprise puisqu'il s'agit du conjoint d'une de mes cousines. Quel fût mon désappointement quand je découvris le packaging sur lequel figurait un "Triskell". Non pas tant parce qu'ils avaient récupéré ce symbole fort de notre union celte mais plus parce que ce fut ce même cousin qui me présenta la boîte à l'entrée d'une grande surface. Avec ce cousin, nous n'avions pas plus franchouillard ! Miséreux, nous avions été dépouillés de notre identité au profit d'un bon Français patriote ! Je vois encore dans son sourire une jubilation à m'exhiber la boîte sur laquelle était écrit "Diwall" pendant que de mon côté je m'effondrai intérieurement !
Cependant et inéluctablement, des pans entiers de notre "savoir-faire breton" souffrent du désintérêt des Bretons, dans des domaines pourtant vitaux pour notre pays et qui font le particularisme d'une Nation. Sans avoir à développer les difficultés financières supportées par trois acteurs majeurs que sont Diwan, Dastum et Coop Breizh, il s'agit surtout d'identifier ce qui résulte justement de ce particularisme : dans l'enseignement par immersion, dans la manière que nous avions à collecter et à transmettre, ce lien fort avec une autre civilisation, dans l'esprit coopératif de diffusion de la littérature et de la culture, si énergiquement ancré chez les Bretons. C'est cela qui façonne une identité et c'est cela que nous (en tout cas moi), militants pacifistes et indépendantistes, voyons se déprécier. Et tout comme Dan ar Braz, et tout comme moi-même, d'autres sentent l'effritement identitaire se matérialiser devant leurs yeux, et leur instinct de survie, contrairement cette fois-ci à Dan ar Braz et moi-même, les incite à l'abomination par la création de groupuscule néo-fasciste.
Je terminerai par une conclusion, puisqu'il en faut bien une. Je pense que les acteurs culturels de Basse Bretagne se sont trompés de combat lorsqu'ils prétendaient que : "Hep brezhoneg, Breizh ebet" (sans langue bretonne, plus de Bretagne). Je suis persuadé que c'est l'inverse que nous devions défendre : "Hep Breizh, brezhoneg ebet". Cette posture n'a pas facilité le passage à des engagements politiques et de facto à la conscientisation d'une Nation bretonne revalorisée et célébrée. Et n'attendez pas des athlètes français qui agitent le gwenn ha du, un quelconque ralliement.
* Il existe deux langues en Bretagne : le breton et le gallo
** Les mobilisations pour le rattachement du 44 à la Bretagne attirent de moins en moins de militants
*** Je connais H. Lossec de l'époque où j'étais président de Dastum Bro Leon pendant qu'il était celui de Ti ar vro Bro Leon à Lesneven




