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dimanche 23 février 2025

Edition "La bête au coin du cimetière"

Avec les "Editions des montagnes noires". Auteur : David DERRIEN

Auteur de biographies et du recueil "Les fables environnementales"

Format 14x21 cm. 13 euro

Résumé
De la soue où elle est séquestrée, Euphrasine Le Menn écrit sur les évènements qui ont amené sa famille à la réduire à l’état de bête. Plongeant dans un Léon toujours grégaire, en proie aux préceptes de l’église, le destin de cette jeune paysanne bretonne a comme toile de fond la déflagration de la 1ere Guerre Mondiale. Enceinte de son amant Jacques Kerdoncuff, dès lors écartée pour hérésie, parviendra-t-elle grâce à l’écriture à surmonter une épreuve inhumaine, imposée par l’excès de dévotion de sa grand-mère et la brutalité de son père ? « J’ai mis un terme à mes lamentations car cela froissait ma souffrance et la rendait inaudible. Ce qui m’empêchait d’écrire », inscrivit Euphrasine Le Menn dans son cahier scolaire.


Inspiré de faits réels.




Frais d'expédition 4,70. Merci d'adresser un réglement par chèque de 17,70 à l'ordre de David Derrien au 36 rue de cornouaille - 29470 Plougastel-Daoulas. Contact : disentus@gmail.com


Avis

« Avec ce livre, David Derrien rentre dans l’histoire de la littérature bretonne avec honneur. Belle narration biographique.» Fatia Folgalvez, militante bretonne avec une carrière de professeure au lycée Diwan à Carhaix.

" Terrifiant et beau." Michel, correcteur et professeur d'histoire à la retraite.

« Belle description réaliste et subtile de la rudesse de nos campagnes bretonnes.» A. Larhantec-Bellour. Eleveuse de bovins en AB. Bretonnante. Lanneanou.

"Je suis sûre que vous trouverez l'éditeur qu'il vous faut. Votre manuscrit le mérite." Éditions Lunatique

"Texte très intéressant." Éditions Goater

Bio

Autodidacte, saint-politain d’origine, David Derrien concrétise avec ce premier ouvrage 12 années d’écriture en lien avec l’écologie, la politique locale et sa vision d’une Bretagne indépendante et libertaire. Le sujet de la condition de la femme face à la religion ne s’éloigne pas de ces engagements sachant qu’il reste d’actualité. Ses passages dans les milieux culturel et politique breton depuis 30 ans font de lui un observateur attentif et atypique de son pays, porté par une réelle liberté d’opinions et d’agissements.

Disponible mi-mars en librairie ou déjà sur le site des Editions des montagnes noires https://edmontagnesnoires.weebly.com/ et https://edmontagnesnoires.weebly.com/bon-de-commande.html

Extrait

À force d’immobilité dans la soue, Euphrasine ressentait le froid comme jamais. Pour écrire, elle soufflait à intervalle irrégulier dans ses mains ou les placer sous les aisselles le temps de les réchauffer. Puis elle reprenait le cours de son récit là où sa mémoire l’avait guidé. « À Lesvenez, tu m’avais invitée à une balade dans les chemins creux menant dans le vallon près de la ferme. Nous avions dû enjamber le cours d’eau, lequel courait les plaines et pour me faciliter le gué tu m’avais pris la main. Tu te sentais navré de m’avoir entraîné dans des ornières gonflées par l’eau de pluie qui, assoupie, stagnait avant d’être épongée par le sol. C’est vrai que ça n’a pas été très pratique de patauger dans les flaques avec les sabots !  Au fond je n’en avais cure car nos conversations suffisaient à faire oublier les désagréments d’une promenade de fin d’automne où le ciel d’une couleur ardoisée nous cachait des regards. Tu m’écoutais assidûment te relater les scènes du roman de Jules Verne, et plus tu m’écoutais, plus j’étais bavarde. Je crois que je ne me suis jamais autant livrée à une personne. Bien sûr que je fus contente de faire la connaissance de ton père, ainsi que de tes frères, paraissant plus disposés que ta mère à me faciliter le séjour chez vous, mais ce n’était évidemment en rien comparable avec le désir de te voir à nouveau tous ces samedis au cours des premiers mois d’hiver. Plus durait notre subterfuge plus je me sentais ragaillardie. Après la lecture de « Vingt mille lieux sous les mers », j’ai débuté le roman de Victor Hugo « Les misérables ». Tu te rappelles de ma réaction ? J’étais tout à la fois épouvantée et scandalisée. Si nous paysans, nous survivions c’est parce que nous avions de quoi nous nourrir, nous habiller et nous chauffer. Nos parents avaient tout de même une certaine autonomie alimentaire, le blé nous le marchandions au meunier et si de la viande se vendait sur l’étal du boucher de Landerneau, nous conservions quelques bas morceaux dans du gros sel pour notre propre consommation. On s’en sortait de cette manière. Enfin, je ne t’apprends rien. Par contre, pour les miséreux des villes, la situation paraissait toute autre, si de surcroît l’injustice sociale (comme tu aimes à le répéter) s’immisçait dès l’enfance. Il y a pire que la misère dans laquelle nous les femmes subsistons, il y a l’oppression que l’on exerce sur elles. Avec ce que j’endure, c’est une évidence que nous ne continuerons pas à la subir ma sœur et moi ».

Grâce à l’avis de son mari Auguste, Marie-Véronique Kerdoncuff avait corrigé son  jugement sur Euphrasine. Aux premiers abords, elle n’avait rien d’une femme gracieuse, et les lunettes ne plaidaient pas en sa faveur, néanmoins l’attitude générale démontrait, derrière une apparence craintive, un réel intérêt pour différents domaines de la vie, une curiosité menant au-delà de la nécessité. On devinait une appétence pour la connaissance qui lui semblait vraisemblablement vitale et que leur fils comblait à force d’ardeur. Auguste Kerdoncuff avait bien décelé chez elle une probable fragilité qu’il associait à la perte récente de sa mère mais à l’inverse également une pugnacité allant de paire avec l’épreuve traversée. Sous leur surveillance discrète, les parents de Jacques approuvaient dorénavant que les jeunes puissent se côtoyer surtout que leurs conversations gravitaient essentiellement autour des lectures d’Euphrasine et de celles de leur fils, en dehors du fait qu’ils ignoraient sa préférence pour des auteurs socialistes. À l’écart de la maison, à l’abri dans l’écurie, les jeunes lecteurs échangés sur les ouvrages apportés par Jacques dont il avait fait l’acquisition pendant son séjour à Rennes. Manifestement, sa préférence se portait sur Victor Hugo, « rare humaniste de ce gabarit », selon les propres termes de Jacques, même s’il avait une attention toute particulière pour un dénommé Emile Masson. Socialiste-libertaire du Morbihan, il avait refusé de rejoindre l’Union sacrée. D’après Jacques, son originalité résidait dans le fait qu’il s’adresse en breton aux paysans pour tenter de les intéresser aux idées socialistes. Puisque Jacques lisait le breton, il avait conservé des anciens numéros de la revue Brug,  publié par le fameux Emile Masson pour lequel il ne tarissait pas d’éloges.

« Et puis dis-moi, au fond, où toutes ces lectures vont t’emmener ? S’enquérait Euphrasine, intriguée par les projets de son ami,

-   Je ne sais pas vraiment. Dans l’immédiat, j’aimerais poursuivre mon apprentissage de tapissier. J’ai encore une année entière de pratique, en espérant que je ne sois pas entre-temps convoqué pour participer à la guerre. Ensuite, j’enchaînerai avec le métier de tailleur, tailleur de costumes et j’ouvrirais une échoppe en tant qu’artisan.

-   Ah oui ? C’est un beau projet. Et où comptes-tu t’établir ?

-   Peut-être à Rennes… Jacques hésitait avant de se lancer vraiment. Et pourquoi pas les États-Unis ? Je sais que mes frères s’installeront sur la ferme, je ne m’en fais pas pour mes parents.

-   Les États-Unis ?

-   Oui. Jacques arpentait la grange de long en large. Dans une cité comme New-York ! J’ai un cousin de Rennes qui vit dorénavant là-bas. Je pourrais lui demander de m’héberger le temps de monter mon affaire. Sa voix s’éleva un peu. On prétend que là-bas on nous garantit le droit à l’expression et que ce serait même inscrit dans la constitution des Etats-Unis. Tout en parlant il s’immobilisait par à-coups.

-   Tu penses à quoi exactement ? Au fait qu’on nous oblige à nous exprimer en français ? Euphrasine essayait de comprendre la ferveur qui régnait chez lui.

-   Il y a un peu de ça, oui. Est-ce que tu crois que je me trompe beaucoup en te disant que la France nous a déjà imposé sa langue et que maintenant elle nous impose une guerre ? C’est quoi la suite à ton avis ?

-   Je ne sais pas… Prier pour que la guerre cesse…. Se hasarda Euphrasine afin de soulager les tourments de son nouvel ami.

-   Prier, prier ! Ca ne suffit pas. Vous priez tous, mes parents, mes frères, toi, et rien ne s’arrête. Ca a même empiré ! À quoi bon se rendre à l’Église ! Dis-moi Euphrasine. Elle ne sut quoi rétorquer. En tout cas je sais qu’il existe aux Etats-Unis des opportunités pour réaliser ces projets et que c’est un pays en constante évolution. En plus de ça, il n’y pas de guerre sur leur sol. Enfin, plus maintenant. Je ne prétends pas que ce soit parfait mais en France, j’ai le sentiment que les ravages de la guerre auront des conséquences durables quand tout ça sera terminé. Tu te rends compte ! On ne connaît toujours pas l’issue de cette putain de guerre ! Déclara-t-il dans un élan de lucidité. C’est la première fois qu’Euphrasine l’entendait jurer. Désolé, je m’emporte… Je ne devrais pas mais je m’inquiète. Si j’étais appelé, tout pourrait s’écrouler ». Sa prévision avait-elle un lien avec Euphrasine ? Elle qui se tracassait également. Non pas sur le fait qu’il veuille réaliser ce qu’il avait en tête mais bien à cause de ce qu’il augurait dans le cas de son enrôlement ; les hommes peuvent revenir de leurs rêves, pas forcément de la guerre.



 


Les naufragés de Kermi. Extrait. Myriade

 

Myriade. Myriade était un merveilleux mot lorsqu’il s’agissait de recenser les enfants de Kermi. Et comment d’ailleurs compter précisément ? Il en naissait toujours davantage, croissant bien plus vigoureusement que les treuzoù* du gros Camus. C’était ainsi, à une époque où la contraception ne fut légalisée et généralisée en France que quelques années plus tard, à la condition que les politiques familiales fussent appliquées partout, dans des régions réfractaires comme dans le Léon. Ils étaient si nombreux qu’ils en devenaient indénombrables, quand, dehors, dès la nuit enfuie, ils tambourinaient le sol de leurs croquenots, dans tous les sens, gonflés de tous leurs sens : les tympans qui fourmillaient, le nez qui jazzait, les yeux qui chaviraient, les mains qui tâtonnaient ou la bouche qui engloutissait, à court de souffle. Ils couraient, ils couraient, vrillant dans l’air, au dedans de tout, dans les friches nébuleuses des marécages ou dans celles plus hachurées du littoral. Et après une pause, ils aspiraient le large avant de rudoyer à nouveau les sentiers, un trognon d'artichaut à la main, grimpant sur des murailles émeris qui égratignaient les genoux, de façon à bouter l’Anglais des Amériques, mimant Blek Le Roc, lors de la Guerre d’indépendance. Leur jacasserie rendait aphone le vent, égratignait les faubourgs de Kermi, délocalisait les grives et les merles, fissurait la tranquillité de la vieille Guillou, ronchonnant dans son antre de ferme. En ville, on médisait sur eux, la mauvaise langue disait : « ça grouille de gosses parce qu’il y a les allocations au bout ! » Mais la seule chose qui grouillait à Kermi, était ces satanés poux dans les cheveux et les punaises dans les lits que l’on tentait d’exterminer. Il ne fallait pas s’attarder sur ces calomnies, la chose à laquelle on devait songer, était que : ça babillait avec la manière, ça jubilait autour des « penn an ti », des tirs de penalties entre deux maisons, ça sautillait entre les cordes, ça pépiait par-dessus les toits. Ca se chamaillait et ça pleurnichait, joutant avant de se rabibocher, en fin de compte, pareil à n’importe quel autre enfant de leur âge et de leur condition, à travers l'héxagone. Quand le soir rampait inexorablement, irrémédiablement sur Kermi, il dispersait l’exhalaison des joutes infantiles. L’obscurité ne noyait pas que la lumière, elle avalait les plus prodigieux des moments. Bientôt, ça se ferait, de temps en temps ou régulièrement, gronder au sein d’un foyer rétréci, particulièrement sombre, derrière des volets épais, étouffant les remontrances. Un peu comme dans n’importe quelle autre famille, envers n’importe quel autre enfant de la Métropole.

Des enfants de Kermi. Vers 1955 (illustration)

Ces enfants, on les différenciait par leur nom : Robert André, les jumeaux Jean-Luc et René Azou, Marie-Laure Goarnisson ou sinon Madeleine Carnec, dans le désordre, Jean-Jacques Plantec et Chantal Kergrist. Entre eux, ils s’identifiaient, se confrontaient souvent, quoique, ne se fréquentaient pas forcément. En effet, une ligne Maginot invisible séparait ceux du « Haut » et celles du « Bas ». L’endroit des latrines servait de no man’s land au tracé de la ligne, défini selon des règles elles aussi invisibles ou bien peut-être oubliées. Intuitivement, chacun s’interdisait de rompre cette ligne et ses règles, à part dans les cas exceptionnels où le ballon du « Haut » déviait de sa trajectoire, conséquence d’une frappe foireuse, pour échouer dans la partie du « Bas ». De la même façon, les garçons ne se mêlaient pas aux filles, chacun et chacune dans le rang, déterminé par le sexe et non plus par l’origine. Si les garçons jouaient au « bugel », les filles devaient garder leur distance, car il fallait être doté d’une certaine dextérité, ne pas se laisser troubler par l’enthousiasme des filles, lorsque l’objectif à atteindre était de loger, à une certaine distance, un caillou dans un trou creusé dans le sol. Celui qui y parvenait, se précipitait  sur un autre participant et, en le touchant, le désignait comme le prochain lanceur. 

On avait affublé quelques jeunes de surnoms de célébrités populaires autant sportives que télévisées et dessinées, ou de diminutifs en lien avec leurs prénoms : Vidocq pour Roger Le Bris, et Skoblar pour son frère Hervé, Jean Ropars alias Tex ou bien Roddy à l’attention de Jean-Claude Pouchard. Pour les diminutifs, on trimballait du Titive pour Jean-Yves Toux. Moins courant était un surnom en breton comme Fanchoù pour François Guillou. 

« Allez ! A l’attaque !  Lança Jean-Claude Pouchard, juché sur le talus du « Bas », arrogant dans son costume de Roddy, célèbre rebelle à la couronne d’Angleterre, les garçons qui formaient sa milice, le contemplant sur son promontoire. En avant contre les Anglais !

-      Où c’est qu’y a des Anglais ? L’interrogea Jean Derrien, un peu perdu dans son rôle de « Sam le Corse »,

-     Ben, là-bas ! Jean-Claude Pouchard désigna du trognon, le groupe de filles qui bondissait dans la marelle,

-      C’est quoi des Anglais ? Demanda timidement Henri Le Mat au chef Pouchard, parce que les chefs, ils savaient tout,

-          C’est des soldats qui ont des têtes de poissons,

-        Des têtes de poissons ? Henri Le Mat, un peu interloqué hésita avant de réagir, ça peut pas être des Anglais, les filles n’ont pas de têtes de poissons, balbutia-t-il,

-       Et puis les filles, c’est chiant, elles vont crier et aller se plaindre aux parents, renchérit Marc Derrien, plus véhément. Il avait raison. D’un seul coup, Jean-Claude Pouchard semblait hésiter, donnant l’impression de réfléchir à une autre option en parcourant les lieux du regard. Il lui fallait un ennemi afin de conforter sa place de chef de milice. Au même moment, Pinard apparût au coin d’une maison, à la recherche d’une touffe d’herbes pour y flanquer ses dernières gouttes d’urine.

      -     Là ! Les Anglishes ! Sus au bâtard !» Exulta frénétique Roddy. Comme un seul homme, sans la moindre hésitation, brandissant leur trognon tels des guerriers, la troupe se précipita vers le chien. Alerté par la cavalcade, Pinard releva le museau puis les oreilles. Aussitôt il déguerpit pour échapper à l’attention de ces garçons qui fondaient sur lui à des fins de persécution. Carapaté chez Marie Goasdu, il serait à l’abri. A peine perturbée par l’agitation des garçons, Christiane Prigent détourna un bref instant le regard de la marelle, distraite par leurs hurlements. « Qu’y sont bêtes » se contenta-t-elle d’émettre, dépitée par leur vacarme, avant de se concentrer de nouveau sur sa partie.

* treuzoù : trognon d'artichaut (Révoltes paysannes en Bretagne, F. Elegoët, P.80)

L’émancipation des esclaves noirs aux États-Unis : un exemple en trompe-l’œil. Part. 4

L'émancipation. Intro et première partie : naître à soi-même https://dderrien.blogspot.com/2025/10/lemancipation-intro-et-premiere-parti...