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mardi 25 mars 2025

Extrait de "La petite Algérienne". Exemple d'antisémitisme français. Constantine 1934

 

De son côté. A.L. Pignol, après des débuts hésitants, maintenait son activité de négoce en spiritueux dans d’assez bonnes conditions. Son commerce l’emmenait régulièrement sur les routes du département de Constantine qu’il sillonnait à l’aide d’un utilitaire Citroën B14, commode dans le cas de livraison de dernière minute. Le lien qu’il entretenait avec ses clients, puisque la plupart cafetiers et restaurateurs, lui donnait l’occasion de croiser des personnes d’influence, favorisant ainsi la transmission d’informations qu’il jugeait précieuses, au point de les communiquer à son ami Khalel Bachir dans le cas d’interventions musclées. De retour de Constantine le 03 août 1934, A.L. Pignol retrouva son comparse dans son taudis, encore sous le coup de l’exaltation, suite au pogrom de la journée. « Bon sang Bachir ! Tu as entendu les infos sur les troubles à Constantine ? L’autre gredin qui n’a pas eu le temps de réagir s’efforça de montrer un intérêt quelconque aux propos d’A.L. Pignol,

           - Oui, vaguement… Tu en sais plus toi ?

        - Si j’en sais plus ! Mais pauvre diable ! Un appartement de youpin a été saccagé par un groupe de Musulmans, ça chauffe à Constantine, il faut qu’on agisse ! On ne peut pas rester à l’écart,

          - D’accord et tu aurais plus de détails ? Cette fois-ci Khalel Bachir était sorti pour de bon de sa torpeur, excité à l’idée de potentiels affrontements,

          - Eh bien, on dit que tout serait parti d’une altercation entre un Juif éméché et des Musulmans en prière qu’il aurait insultés. Ils se sont sentis blasphémés et ont décidé de saccager son domicile le jour même, ce qui a eu pour conséquence de faire intervenir les habitants des immeubles voisins qui ont jeté des projectiles sur la foule en colère. Les notables sont intervenus pour calmer tout ce petit monde mais on ne peut pas en rester là : la mèche est allumée il faut que ça explose ! J’ai une idée à te soumettre Bachir, tu m’écoutes attentivement ? Bien. J’ai rencontré des personnes de la mairie de Constantine, des proches de Morinaud, au Casino Municipal, et j’ai appris que, vu les circonstances, il serait opportun de maintenir la pression sur les Juifs. J’ai eu la confirmation que ni les autorités administratives ni Morinaud ne feraient intervenir les forces de l’ordre en cas de nouveaux troubles, en tout cas pas dans les premiers instants, surtout s’ils ne leur distribuent pas des cartouches. Il faut qu’on balance une fausse rumeur auprès de la population musulmane comme quoi… Je ne sais pas moi… euh… que des Juifs envisageraient de se venger… et viendraient …euh… perturber les marchés. Ca tient la route, non ? Surtout qu’on va se faire aider par un certain El-Maadi qui a déjà rameuté large chez les Musulmans et que d’autres colons devraient se joindre à nous,

            - Ouais… comme ça, oui, et comment tu comptes t’y prendre ?

            - Déjà, on doit trouver des burnous qu’on enfilera pour se faire passer pour des locaux. Tu as toujours un contact avec Aïssa ben Messaoud ? Il travaille toujours avec toi pour les alfas ?

            - Oui, toujours, même si je le vois moins souvent à cause de l’activité qui est en baisse. Pour les burnous, ce n’est pas un souci, j’ai les tenues dans une cabane avec l’outillage habituel.

            - Tu sais dans quel douar crèche Messaoud ? Bachir hocha la tête. Bon. On passe à ta cabane pour récupérer le matériel et on file chez Messaoud pour le mettre au courant. On doit agir vite ! On part demain dès l’aube, on empruntera mon B14 pour la route vers Constantine et je vous détaillerai mon plan sur le trajet. » Les colons avaient souvent refusé toute forme de coexistence pacifique avec les autres communautés. Leur volonté de maintenir une domination totale sur les populations locales les avait poussés à voir toute autre communauté, y compris les Juifs, comme une menace à leur position privilégiée. Cette mentalité de siège avait renforcé leur propension à utiliser la brutalité pour maintenir l'ordre colonial. Pour certains colons, comme A.L. Pignol, les ratonnades représentaient une opportunité de punir une communauté qu'ils considéraient comme ayant trahi leur statut d'indigènes en accédant à la citoyenneté française. Les violences étaient aussi une manière de rappeler la domination des Européens sur toutes les autres communautés, renforçant ainsi leur propre sentiment de supériorité et leur position dans la hiérarchie coloniale.

A.L. Pignol, à droite sur la photo

Le dimanche 05 août à Constantine, plusieurs centaines de Musulmans, toujours remontés, se réunirent pour en découdre, sans doute à la suite d’une fausse rumeur propagée dans les cafés fréquentés par les indigènes, probablement par les deux complices d’A.L. Pignol, prétendument maraîchers d’un oued voisin. Dès lors, les sources divergèrent quant aux responsabilités de chacun. Dans tous les cas, des coups de feu furent tirés, soit ils blessèrent des maraîchers arabes installés sur une place du marché, soit des bandes armées du côté arabe investirent le quartier du même marché. A ce stade, il fut rapporté que des boutiques juives furent attaquées. En surnombre, les Musulmans se déchaînèrent sur les habitants et le massacre fit rage jusqu’à la fin de la matinée. A.L. Pignol, camouflé par la foule et son burnous, la tête enrubannée dans un chèche, galvanisé par ce tourbillon de férocité qui lui garantissait l’anonymat, se déchaîna à son tour entouré de ses deux acolytes. « Pas de Juifs ! Vive la France ! » Criait-il. L’outillage emporté n’était autre que des battes et leur usage fut intentionnellement belliqueux : ils tapèrent le Juif à portée de coups, ils détruisirent ses biens en brisant les vitres des boutiques et effrayèrent les populations en jetant dans la rue les femmes et les enfants sans néanmoins succomber à l’attrait d’une arme à feu et en déplorer l’usage, que d’autres, moins scrupuleux, ignorèrent. Comme une traînée de poudre, le tumulte créé s’étendit dans tout Constantine. Dès lors, d’autres colons vinrent se joindre à l’agitation chaotique et gonflèrent les rangs des manifestants, transmués en pillards. Les forces de l’ordre, dépêchées sur place trois jours plus tard, finiront par s’interposer puis disperseront les belligérants. Là encore les récits de la presse de l’époque s’opposèrent quant à leur attitude. D’un côté, et notamment dans la presse israélite, on avança une certaine passivité intentionnelle des militaires, de l’autre on invoqua un sous-effectif de la police et l’absence de cartouches pour expliquer le retard des interventions au départ des troubles. Le bilan de ces émeutes fut lourd. Le chiffre officiel des autorités se monta à 26 morts : 23 Juifs, y compris femmes et enfants, et 3 Musulmans ainsi qu’une centaine de blessés.


 « Allo ? Laurette ? Oui c’est moi, Huguette, bonjour, comment allez-vous?

-          Oh ! Bonjour Huguette. Oui, on va bien avec Yves. On profite bien du soleil et des vacances avec le loulou. Là, on partait au café pour voir François.

-          Je ne vais pas t’embêter longtemps Nonette, je voulais juste savoir si tu avais entendu parler des événements de Constantine d’avant-hier ?

-            Oui, j’ai parcouru un article dans la presse à ce sujet,

-            Et papa, tu l’as vu récemment ?

-          Qu’est ce que tu veux savoir exactement Huguette ? Tu voudrais savoir si papa a participé aux troubles ?

-          Oui entre autres, je voudrais surtout savoir s’il va bien ; tu sais bien que c’est difficile pour moi d’appeler directement,

-          Á vrai dire je ne peux pas te répondre vraiment. François l’a vu hier pour la livraison de boissons et il m’a dit qu’il portait un bandage à la main. Il avait l’air un peu fatigué, d’après François, mais c’est à peu près tout. Tu penses bien qu’il ne l’a pas interrogé pour connaître la raison du bandage.

-        Oui, je comprends… Mais il devrait davantage faire attention, il a déjà 54 ans quand même ! Enfin puisque tu me dis que François l’a rencontré, ça suffit pour me rassurer. Pourvu qu’il n’y ait pas de suite à cette histoire. On va prier pour lui. Bon, on se voit dimanche prochain de toute façon ?

-          Oui on n’a pas oublié. Charles sera revenu de sa mission ?

-          Logiquement oui, il me l’a encore confirmé ce matin,

-          D’accord très bien, on doit filer là, à dimanche !

-          Oui, à dimanche Nonette. »


Il existerait des témoignages selon lesquels certains responsables locaux avaient pu encourager ou tolérer les violences, soit par conviction personnelle, soit par calcul politique à l’image du maire de Constantine Emile Morinaud, en déplacement lors du pogrom. En effet, certains administrateurs pouvaient voir dans ces événements une occasion de renforcer le contrôle colonial en laissant les différentes communautés s'affronter, affaiblissant ainsi toute forme de solidarité qui pouvait menacer l'autorité française. Après les événements, l'administration coloniale avait montré peu d'empressement à traduire les responsables des violences en justice. Les colons impliqués dans les ratonnades avaient souvent échappé aux sanctions, ce qui avait renforcé le sentiment d'impunité parmi les Européens et avait alimenté la colère et le ressentiment des communautés juives et musulmanes. Cette incapacité à rendre justice avait non seulement trahi les victimes, mais avait aussi encouragé de futures violences.


Projet de couverture

https://dderrien.blogspot.com/2025/03/projet-de-couverture-du-manuscrit-la.html

vendredi 7 mars 2025

Projet de couverture du manuscrit "la petite Algérienne"

Projet de couverture du manuscrit "la petite Algérienne". Ce manuscrit ne réécrit pas l'histoire mais dévoile un détail de l'histoire qui a toute son importance. Et comme vous le savez, le diable se cache dans les détails.

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels (les noms et prénoms de certaines personnes ont été volontairement modifiés)

Reconstitution historique

Extraits des courriers authentiques

« Un très bon moment de lecture. » Jean-Paul Morvan (maire de Loperhet de 2014 à 2020, passionné de l’histoire autour de la colonisation en Algérie)

« Un texte très intéressant. » Michel Meneu (professeur d’histoire à la retraite)




Extrait

En rentrant en Algérie, Huguette Mingam aspirait au calme et au recueillement. On estimait que le mieux pour elle, sachant les exercices qui attendaient son mari, serait un séjour prolongé au sein de l’hôtel.  Elle trouva auprès de ses parents et de ses amies, un asile de compassion, d’écoute et de soutien moral. Les visites chatouillantes d’Yvette Blondin, qui avaient tout de même le don d’agacer A.L. Pignol, favorisaient un regain d’intérêt d’Huguette Mingam pour les choses de la vie. Contrairement à son père, Marie-Jeanne Pignol voyait d’un très bon œil cette relation impulsée par un solide souffle de vie, fût-il ténu. Elle s’évertua, quant à elle, à lui changer les idées et l’incita à la pratique du piano, quelques séances à l’hôtel aideraient à pourvoir au deuil qui compensait son insoutenable culpabilité par rapport à son enfant, pensait-t-elle. A force d’entrain et d’empathie envers la malheureuse, Yvette Blondin figurait parmi ses premières confidentes.


« Le temps est radieux aujourd’hui ! S’enthousiasma celle qui retrouvait son amie cours Carnot après une énième rencontre. Cela faisait bientôt trois mois que Jacqueline était décédée. Allez ! Accompagne-moi jusqu’au kiosque, tu verras, l’ombre des arbres est bénéfique à la douceur,

Oui, si tu veux, patiente, s’il te plaît, le temps que je récupère une ombrelle et que je me coiffe d’un chapeau », lui répondit une voix provenant des appartements du rez-de-chaussée occupés par les Pignol. Cette attente qui s’éternisait, offrit la possibilité à Yvette Blondin, après avoir réajusté les lunettes, d’examiner en détail l’hôtel, s’étonnant pour ainsi dire de ne l’avoir pas soumis plus tôt à son intérêt. Le long de la façade extérieure ajourée de deux ouvertures en alcôve, on avait positionné une rangée de tables rectangulaires assez étroites, protégées de l’agression du soleil par une toile épaisse, assez grossière dans son exécution même si son bord était échancré par de minuscules houppes d’ornement. Sur la droite, l’entrée, également arrondie dans son architecture, assez large pour ne pas incommoder le passage d’une petite charrette, s’étirait jusqu’à la limite du patio. Quatre colonnes en bois seulement décorées de chapiteaux sans fantaisie, soutenaient la terrasse du 1er étage. Au coin de l’une d’entre elles, était installée la chaise réservée à l’usage exclusif d’A.L. Pignol, qui sous prétexte d’une lecture du journal, gardait un œil sur l’agitation de la rue. Il traquait du regard les vendeurs à la sauvette, de jeunes juifs empapillotés dans leurs tresses de dattes, ou vêtait le costume de vigile dans le cas où surviendrait une course de voitures interdite qui incommodait les résidents du centre ville. Pour éviter les chutes malencontreuses, mais sur lesquelles on pouvait toutefois s’appuyer pour lorgner en toute discrétion sur la cours Carnot, avait été érigée une balustrade en fer forgé bien plus élégante que les poteaux sur lesquels elle se maintenait. Á nouveau des pans de rideaux en toile épaisse, de 2 mètres de haut au moins, avaient été fixés sur des glissières rivées sur la pente extérieure de la toiture et que l’on étendait selon les besoins en intimité. Dans l’enfoncement, des portes-fenêtres, habillées par des volets battants persiennés, indiquaient la présence de trois chambres, celles d’ailleurs qui étaient les plus prisées par les clients, sur un ensemble de trente logements de taille identique que comptait l’hôtel. 


Yvette Blondin clôtura l’inspection de l’Orient à l’instant même où apparut son amie. Après avoir remis à sa place la chaise sur laquelle elle s’était assise, à son tour vint s’abriter sous le parapluie déployé par Huguette Mingam à qui elle saisit l’encolure du bras partiellement dénudé. Le square, vers lequel elles se dirigeaient, se situait à une centaine de mètres de l’établissement. Dans la rue, peu de monde, encore moins de circulation, tout juste croisèrent-elles des indigènes qui guidaient leurs chèvres et leurs moutons, tout aussi nonchalants, ou des colons dont elles ignoraient la raison de leur présence à moins que quelques affaires pressantes à régler les obligeassent à affronter les prémices d’un Sirocco automnal, un vent saharien qui déjà ponctuait le square des premières poussières arrachées aux dunes du reg. L’ombrelle, accessoire habituel d’une coquetterie outrancière, était bien utile pour se préserver d’une invasion soudaine de ces particules qui envahissaient la moindre anfractuosité de l’air respirable. On peinait déjà à discerner l’une des portes du mur byzantin quand les deux jeunes femmes s’immobilisèrent sur un des bancs disposés autour du kiosque inhabituellement muet. Abandonné de ses promeneurs ou des concerts occasionnels, le square s’avérait être l’endroit approprié pour un échange intime.



L’émancipation des esclaves noirs aux États-Unis : un exemple en trompe-l’œil. Part. 4

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