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mardi 28 octobre 2025

L'émancipation. Intro et première partie : naître à soi-même

Texte complet recomposé avec l'aide d'un assistant d'écriture numérique

Impact environnemental et comparatif

Méthode- CO₂ - totaleau consommée (réseau essentiellement ou recyclée)
ChatGPT (2 requêtes)10 g- 3 L
Moteur de recherche (20–50 recherches)4–10 g- 2–5 L

Compensation : captation du CO2 par entretien d'une parcelle de 4000 m2 avec une population de jeunes arbres (feuillus, fruitiers) - Maintien en l'état d'une portion en zone humide

Introduction

“La Révolution, c’est toi”

 « On ne saurait fonder la liberté sur l’obéissance : la liberté ne vit que dans la conscience éclairée et volontaire. »

 - Émile Masson, Le Socialisme et l’individualisme, 1905, chapitre II

L’émancipation n’est pas un mot d’hier, ni un slogan d’avant-garde. C’est une tension permanente entre ce que nous sommes et ce que nous pourrions être, entre la tutelle et la conscience, entre l’obéissance et la lucidité. Elle ne se décrète pas : elle se conquiert. Non par la force, mais par la volonté d’être libre en vérité, c’est-à-dire responsable de soi et solidaire des autres.

Dans un monde saturé d’injonctions, d’opinions rapides et de normes intériorisées, l’émancipation retrouve une actualité brûlante. On ne naît pas libre : on le devient, souvent contre soi-même, toujours avec les autres. L’homme émancipé n’est pas celui qui se révolte pour le plaisir du tumulte, mais celui qui questionne les fondements de son obéissance. C’est en ce sens qu’Émile Masson voyait dans la révolte non pas une rupture violente, mais un éveil de la conscience — une “révolution intérieure”.

Cet essai cherche à comprendre comment l’émancipation traverse nos vies, nos institutions et nos sociétés. Elle commence à l’école, dans l’apprentissage du discernement et du refus du conformisme ; elle s’épanouit dans la vie sociale et politique, quand le citoyen cesse d’être spectateur pour redevenir acteur ; elle s’accomplit enfin dans une dimension plus intime, lorsque la liberté devient fidélité à soi-même et respect du vivant.

L'émancipation est une marche lente, lucide et douloureuse

Mais l’émancipation n’est jamais donnée. Elle se heurte à des pouvoirs, des habitudes, des peurs. L’histoire bretonne, à travers le mouvement de l’Emsav, en témoigne : chaque conquête d’autonomie s’est vue absorbée, récupérée ou détournée. La République, dans son idéal même, a souvent confondu unité et uniformité. Or, il n’y a pas d’émancipation sans diversité assumée. Le pluralisme n’est pas une menace, c’est une respiration.

C’est pourquoi penser l’émancipation aujourd’hui, c’est aussi repenser la liberté : non plus comme un privilège individuel, mais comme une responsabilité commune et une reconnaissance pour une communauté exploitée comme les Noirs américains.

Être libre, ce n’est pas s’isoler du monde ; c’est y participer en conscience. C’est refuser que d’autres décident à notre place, tout en reconnaissant que la liberté s’éteint dès qu’elle oublie la solidarité.

Ainsi, de l’individu à la communauté, de la Bretagne au monde, ce texte interroge la continuité d’un même élan : celui d’une humanité en quête d’elle-même. L’émancipation n’est pas un horizon lointain ; c’est une marche lente, lucide, parfois douloureuse, mais nécessaire — une fidélité à la révolte, dans sa forme la plus noble : celle qui construit au lieu de détruire.

Première partie

L’émancipation individuelle : naître à soi-même

On confond souvent liberté et émancipation, comme si la seconde n’était qu’une extension juridique ou morale de la première. Pourtant, elles ne se superposent pas. La liberté est un état — souvent illusoire, parfois octroyé —, tandis que l’émancipation est un mouvement intérieur, une conquête lente et personnelle qui cherche à s’affranchir des tutelles visibles et invisibles. Elle suppose un effort, une lucidité, et parfois une rupture.

1. L’apprentissage de la liberté

Dans le droit civil, l’émancipation désigne l’acte par lequel un adolescent, encore mineur, cesse d’être sous l’autorité de ses parents. Juridiquement, il gagne des droits; humainement, il découvre surtout des limites. Car s’émanciper, ce n’est pas échapper à la règle, mais apprendre à en comprendre la raison. Le jeune émancipé se heurte d’abord à ce paradoxe : il veut être libre, mais il ignore encore ce que signifie être responsable.

Le rôle des parents, dès lors, n’est plus de commander, mais d’accompagner. L’autorité, dans sa forme la plus éclairée, n’est pas une domination mais une présence de référent qui donne un cadre à la découverte de soi. Quand la règle est expliquée, consentie, comprise, elle n’est plus vécue comme une injonction, mais comme une forme de sécurité intérieure. L’adolescent croit souvent que la transgression est une preuve d’émancipation ; elle n’en est que la caricature. Car la véritable liberté ne consiste pas à fuir la règle, mais à l’intérioriser pour mieux la dépasser.

Ce processus, fragile et exigeant, conditionne la paix sociale elle-même. L’émancipation n’est pas la négation de la filiation ou de la transmission : elle en est l’accomplissement. C’est en reconnaissant la valeur de ce qui lui a été transmis que l’individu peut choisir en conscience ce qu’il veut garder, transformer ou refuser.

2. La tentation de la rupture

Quand la collaboration entre l’autorité et la jeunesse se brise, l’émancipation dégénère en affrontement. La famille devient alors le premier champ de bataille de la liberté mal comprise. Le rejet des figures parentales, la défiance à l’égard des institutions, la fuite vers l’ailleurs traduisent souvent une incapacité à distinguer la décision de l’obéissance. Dans un monde où l’on confond autorité et autoritarisme, l’adolescent, croyant se libérer, s’enferme parfois dans une autre dépendance : celle du groupe, du réseau, ou du mirage d’une autonomie absolue.

Il faut réhabiliter le sens du dialogue et la valeur de l’écoute mutuelle. L’autorité n’a plus à “commander”, elle doit inspirer. Et l’enfant, en apprenant à comprendre plutôt qu’à défier, s’approche d’une émancipation consciente, non d’un simple détachement.

3. La pédagogie de l’émancipation

La première étape de l’émancipation sociale et personnelle réside dans la didactique — dans l’accès au savoir, à la culture et à la diversité des expériences humaines. L’école, dans son idéal, devrait éveiller le sens critique et non la seule conformité. L’apprentissage ne doit pas servir à produire de bons exécutants, mais des esprits libres, capables d’évaluer, de créer, de désobéir avec discernement.

Comme l’écrit Boaventura de Sousa Santos, « l’émancipation est un ensemble de luttes procédurières sans but défini ». C’est dire que l’émancipation ne peut être programmée, ni réduite à une finalité utilitaire. Elle est l’aventure même de la conscience.

Lorsque l’ancien ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, affirme que “l’école est injuste avec les pauvres”, il révèle le déséquilibre d’un système qui a perdu sa mission première : rendre possible l’égalité des conditions d’émancipation. Car sans égalité d’accès au savoir, la liberté devient un privilège.

L’émancipation individuelle est la matrice de toutes les autres. C’est en apprenant à se gouverner soi-même que l’on peut prétendre transformer le monde. Elle exige de chacun une vigilance permanente contre les illusions : l’illusion d’une liberté sans contraintes, d’une autonomie sans solidarité, d’un progrès sans justice. Elle est un chemin plus qu’un état, une conquête plus qu’un droit. Et comme le disait Émile Masson, “la révolution, c’est toi” — c’est-à-dire : elle commence par toi.

À suivre : seconde partie : 

L’émancipation sociale et politique : le combat des femmes et du peuple

vendredi 17 octobre 2025

Pauvreté. La société dans son entier est responsable

« La misère n’est pas une loi de la nature, c’est une honte de la société. »

— Louise Michel, discours à la salle Favié, 1880.

Combien il paraît révoltant et nauséeux de rappeler, en cette journée du 17 octobre, dédiée au « Refus mondial de la misère », ce chiffre de la pauvreté en France : 10 millions. Dix millions de personnes vivent en deçà du seuil de pauvreté fixé en France à 965 euros (échelle de l'Observatoire des inégalités, chiffre de 2022). À cette masse invisibilisée, on pourrait ajouter les foyers qui vivotent avec un Smic*, dont le sort n’est pas plus enviable mais qui perpétue le principe de pax civilis, assurant aux classes supérieures une existence bien plus confortable et, par ricochet, une indifférence quasi systématique au sort des plus démunis.

Car en effet, si la pauvreté ne se contente pas de stagner dans une statistique, elle se traduit par une précarité quotidienne, une aumône dans les centres caritatifs, mais surtout par une déchirure sociale, subie à travers l’isolement et l’amoindrissement de la capacité à s’accrocher à une cordée toujours plus distante, toujours plus encline à accumuler biens et produits financiers. Comme si l’on percevait cette misère, mais qu’au lieu de l’éradiquer, on préférait s’en éloigner, feignant de l’ignorer par peur d’un déclassement.

S’il persiste encore un positionnement politique, il ne change rien à cet état de fait. À n’en pas douter, il existe une hystérie collective à se concentrer exclusivement sur l’accumulation de capital, de biens matériels ou de patrimoine. Cette frénésie détourne toute volonté d’éradiquer les injustices sociales très souvent engendrées par ce système et, paradoxalement, renforce les garanties pour l’oligarchie bancaire, celle-là même qui n’offre aucun recours pour une société plus harmonieuse.


Certains avanceront, pour se dédouaner, que leur solidarité envers les plus précaires s’exprime à travers un pacte social fondé sur le prélèvement des taxes et le financement de prestations sociales. Mais ce discours de façade sert surtout à légitimer le système libéral, à cautionner un capitalisme qui n’a jamais favorisé l’essor d’un modèle de justice sociale ou de préservation des ressources naturelles. Il faut le rappeler : le capitalisme dépend des inégalités, de la précarité de genre, de zones de main-d’œuvre à bas coût et de l’exploitation insatiable des ressources naturelles. Sans ces moteurs, son économie s’essouffle et son règne technostructuré s’érode.

Combien sont-ils, parmi les partis politiques et leurs sympathisants, à vouloir combattre radicalement le capitalisme ? Peu, car beaucoup en tirent profit via des emprunts sur les marchés financiers, et l’État reste le premier exemple. Même régulé, le capitalisme ne change rien à la nature pervertie du système : le rachat d’actions par une entreprise, par exemple, rend artificiel le cours des actions et manipule l’optimisation des bénéfices. Il n’est donc pas surprenant que la pauvreté persiste, voire s’accroisse, en France.

Doit-on la subir pour en connaître les effets délétères ? Apparemment oui, à en juger par le peu de cas accordé aux personnes, quels que soient leur âge, leur genre, leur lieu de vie, ou leur situation fiscale, toutes confinées à l’isolement. Une journée dédiée à la misère est déjà une journée de trop et reste, dans tous les cas, une journée vaine. Les médias, politiques et économistes s’inquiètent davantage du sort des plus riches, s’étranglant presque à l’idée d’un effort fiscal à leur encontre. Pendant ce temps, la question de la pauvreté, et particulièrement la journée du 17 octobre, est totalement absente de la couverture médiatique.

Quelles solutions alors pour éradiquer la pauvreté ? D'après mon point de vue, il n’y en a qu’une : celle explorée par Murray Bookchin, militant et essayiste libertaire américain, à travers l’écologie sociale, la démocratie directe et la sortie du capitalisme. Est-ce une utopie ? Une hérésie ? Certainement, à voir le niveau jamais atteint d’accumulation de richesses ou d'épargnes dans ce pays. Bookchin a raison : avant de parler d’écologie, il faut se libérer de toute forme de domination, et en premier lieu de celle de l’argent.

* En 2023, environ 3,1 millions de salariés du secteur privé touchaient le Smic.



jeudi 2 octobre 2025

Extrait de "les naufragés de Kermi". Chez J. Sévère, expéditeur

 

Invariablement, les emballeurs engageaient leur journée de travail à 8 h. avec l’ouverture du lourd portail par le contremaître, Emile Picard. « Les négociants étaient les rois du marché aux légumes, ils faisaient ce qu'ils voulaient. Les légumes étaient d'ailleurs généralement achetés non par le patron lui-même mais par le premier ouvrier, et il valait mieux se faire bien voir par un bon pourboire aux ouvriers emballeurs si on voulait voir sa marchandise achetée la fois suivante. Les emballeurs exigeaient en effet un pourboire et un litre de vin de chaque paysan. On avait intérêt à ne pas l'oublier car, sinon, le triage des choux-fleurs et des artichauts était mauvais et les emballeurs nous classaient pas mal de marchandises dans une catégorie inférieure ou même, tout simplement, nous les déclassaient en « rebuts » qui n'étaient pas commercialisables. »  (Témoignage d’un agriculteur anonyme auprès d’un journaliste du Télégramme de Brest). De temps en temps, lors de l’installation aux postes, Jobic Sévère dédaignait s’enfoncer parmi les emballeurs pour les saluer, et indistinctement les interrogeait de façon sommaire sur leur santé.  Ensuite, il accédait à la mezzanine et s’enfermait dans son bureau pour quelques heures, parfois davantage. Emanaient quelque fois de ce bureau, dont les ouvriers ignoraient le contenu, les éclats d’une voix, rugueuse, tonitruante et injurieuse et une quantité phénoménale de fumées de cigarettes. Quelques réunions urgentes, comptant d’autres entrepreneurs de son rang, troublaient la monomanie de ce bureau. On apercevait Jobic Sévère très souvent repartir précipitamment dans sa grosse berline pour un quelconque rendez-vous avec l’ « Association des exportateurs de primeurs de Saint-Pol-de-Léon », les élus de la mairie ou bien avec des personnalités, représentants de l’autorité de l’Etat, et ne plus revoir sa silhouette, parfois pour plusieurs jours. Les ordres d’opérations et de gestion du magasin étaient dès lors transmis à Emile Picard et confiés à la comptable, Henriette Saillour. À part eux, personne ne connaissait l’emploi du temps d’un patron régulièrement absent du dépôt. Les emballeurs ne s’en plaignaient pas d’ailleurs, il était assez discret et aimable en fin de compte. Emile Picard, moins.

Anciens dépôts de légumes à Saint-Pol-de-Léon

Marcel Joncour démarrait le moteur du véhicule à chaque fois que l’un de ses prédécesseurs disparaissait dans le hangar puis le coupait pour attendre la prochaine secousse. La manœuvre se répétait ainsi plusieurs fois. Ces soubresauts répétés, ajoutés aux rejets des pots d’échappement, occasionnaient chez lui des troubles gastriques et réveillaient des ballonnements intestinaux, derniers rappels d’une crise inattendue d’épisodes de diarrhées flanquées d’une forte fièvre. Une crise courte, mais qui l’avait tellement secoué, qu’il fut contraint de rester couché pendant près de deux jours. Le souci, dorénavant, selon son constat, était que sa récolte d’artichauts de la veille comprenait des têtes qui n’auraient pas dû attendre davantage la coupe, compte tenu de leur grosseur visible. Ce qui ne rassurait pas le cultivateur quand son tour fut venu de pénétrer dans le bâtiment et de procéder au déchargement, sa récolte pourrait être déclassée. Les dizaines d’ouvriers, pour la plupart emballeurs, et pour partie originaire du quartier de Kermi(9), s’agitaient activement autour des différents postes de conditionnement.

(9)Entre 10 et 15 foyers de Kermi, sur une cinquantaine de logements, dans les années 60, dépendaient du métier d’ouvrier emballeur.

 On devait vociférer de manière à rivaliser avec les différents frôlements et claquements créés par des manœuvres ainsi qu’avec le chahut des bavardages des ouvriers qui ne quittait jamais le fond sonore.

 « Salut Marcel ! Comment qu’c’est aujourd’hui ? » Le premier ouvrier s’appelait Tin Castel. Son poste, il le devait à son absence d’indulgence et en un clin d’œil il savait déjà faire le tri entre les têtes, noter la qualité du produit et, avant tout, soupeser l’honnêteté du bonhomme placé en face de lui. Les producteurs se méfiaient tous de son sens inné à déceler la duperie. « Oh… Pas trop mal… Tin, pas trop mal,

-          Bon… T’as quoi aujourd’hui, Marcel ?

-       Oh… De la qualité forcément… Du moyen, essentiellement, je pense… Autour de 850 kilos… Je pense, quoi ! Comme j’ai prévenu hier, quoi,

      -    Allez descends, on va voir ça. Allez les gars ! On décharge. C’est du vrac que tu as Marcel ?

-       Euh… Oui, oui, mais c’est bien rangé, comme d’hab’, quoi. De grosses caisses, trimballées par les emballeurs sur transpalette, réceptionnaient la marchandise, calées ensuite sur la balance. Puis, il fallait retirer la freinte qui variait entre 5 et 7 % chez Sévère. Tin Castel s’approcha pour l’inspection. Très vite son verdict tomba.

-        Hum,… T’as pas mal de gros, Marcel… Tu vois ça ? L’ouvrier saisit une tête prise au hasard. Le paysan s’approcha,

-          Ouais… Répondit-il évitant d’être loquace,

-        Qu’est c’qui s’est passé Marcel ? Tu n’as pas dessaoulé ou quoi ? Cette remarque goguenarde avait pour mission de décontracter Marcel Abiven. Ce ne fut pas le cas.

-        Noon ! Non ! Non ! Tu sais, à la maison, la patronne me surveille de près, alors tu penses bien…, assura-t-il à voix basse,

-     Bon, je vois. Je vais devoir te les déclasser en partie et les passer en vert, Marcel. Vincent ? Vincent ? Tu viens voir ? Vincent Corre était le seul syndicaliste de l’entreprise, adhérent de la CGT. C’était un gars autant sociable avec les ouvriers qu’avec les producteurs, mais que l’excès d’alcool obligeait à une cure annuelle dans une thalasso, réglée par le syndicat.

  -    Ouais, qu’est ce qui se passe Tin ? Ahe ! Sell-ta piv ! Voilà notre bête féroce de Marcel ! Tribedie ! T’as une sacrée tête de déterré ! T’as trop tiré sur la bouteille hier ou quoi ? Ou c’est Tin qui te fait des misères ? Marcel Joncour adopta une posture de subordonné et se força à rire à la blague du syndicaliste. Mais au fait, j’t’ai pas vu y a deux jours ? T’étais resté avec la bourgeoise dans le plumard ou quoi ? C’est pour ça qu’t’es tout pâlot ? T’as pas pu décharger ? L’éclat de son rire se multiplia autour de lui étant donné que plusieurs emballeurs, et parmi eux Marcel Toux et Jean André, les avaient rejoints pour le délester de ces gros artichauts mais nullement de son désarroi quand il s’aperçut que personne ne souhaitait entendre ses explications. Marcel Joncour manifesta sa stupéfaction par un abaissement des épaules à les voir s’égosiller ainsi. Il avait gros sur le cœur. Bon, dis-moi Tin, faut les déclasser, c’est ça ? Ouais ? C’était quoi le prix fixé hier ? 54 ? Tu dis quoi, toi Tin ? 45 ? T’es dur, là Tin. Je propose 48. C’est notre requin qui est là ! Depuis l’temps qui vient ! Et en général c’est que de la qualité. 48 et avec les bouteilles qui vont avec. Hein ? C’est tout bon pour toi, Tin ? On a combien en quantité ? 800 kg ? C’est ce que tu avais Marcel ? Tu dis 850 ? Hop hop hop ! J’ai retenu la freinte à 6 %, Marcel. Je sais bien Marcel, mais hier tu annonçais que du beau calibre… Et on avait une certaine quantité à partir avec ta production mais elle n’est pas conforme. On fait comme ça alors ? Les gars ! Au triage, vous mettez la majeure partie en vert et le reste en bleu. » Les couleurs du papier brillant d’emballage avaient un rapport avec le calibrage des légumes : vert pour les plus grosses têtes, bleu pour les produits de meilleure qualité et le papier jaune pour les plus petits artichauts présentés en vrac. Concernant la pesée, comme elle s’opérait au sein du magasin, des anomalies apparaissaient au moment du passage sur la balance, tel que compter un cageot d’artichauts à 15 kg alors qu’il en pesait en réalité 21 kg. « Allez ! On se secoue si on veut pas encore être là à 10 h. ! Tiens Marcel, tu prends le ticket et tu montes voir Henriette. Allez, je te sers la paluche, mon ami ! A bientôt Marcel. Et si tu veux des conseils pour décharger, je peux t’aider ! » De nouveaux éclats se firent entendre à travers le dépôt. Pendant tout le temps de la négociation, il n’eut aucune négociation. Marcel Joncour, éteint et démuni, demeurait spectateur du sort que lui réservaient les emballeurs avec, bien entendu, l’accord de l’expéditeur lui-même. Muni de son ticket de paiement, encore abasourdi, il ne surveilla pas comme à l’accoutumée l’opération de triage. Il entendit Tin ordonnait à des ouvriers de préparer les cageots avec un couvercle par-dessus, signe que sa marchandise partait à destination de l’Angleterre ou des pays nordiques. Marcel Joncour, après avoir fait perforer le bon à la comptabilité, s’en allait, contrarié, une crispation qui eut pour effet de réveiller des crampes intestinales. Au niveau de l’autre portail qui donnait accès sur une rue voisine, au passage de son véhicule, il refila ses bouteilles de vin à un jeune, sûrement une nouvelle recrue pour la saison. Le garçon lui souhaita une bonne journée, pas certain que ce fût le cas. Après avoir emballé les têtes dans les cageots, empilés sur les palettes, on les envoyait aux équipes de « voie », dont le rôle consistait à remplir la vingtaine de wagons en attente sur les rails. Au chargement, on plaçait les emballeurs avec la plus grande expérience comme Pierre Gueguen, capable d’aligner méthodiquement les palettes. Il devait souvent descendre sur la voie pour déplacer les wagons au moyen d’une perche métallique dans le but de les garer précisément en face de l’ouverture. Durant la saison des choux-fleurs, l’équipe de « gare » stationnait à l’entrée des wagons et gerbait en une seule fois trois à quatre cagettes d’un poids oscillant entre 25 et 30 kilos au total. Dès le conditionnement terminé dans les fermes aux alentours, un conducteur rapportait la marchandise sur de grands plateaux tirés par des chevaux appartenant à Jobic Sévère et dont les soins étaient confiés à Job Bellec, plus souvent nommé « Tonton Job ». On vit souvent les chevaux, à leur seule habitude, tractaient les plateaux sans de commandement particulier. Les exploitants agricoles, à chaque arrêt de l’attelage, abreuvaient comme il se devait celui qui ne maîtrisait plus les rênes.

L’émancipation des esclaves noirs aux États-Unis : un exemple en trompe-l’œil. Part. 4

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