Dehors, la pluie de janvier s'est libérée et a redoublé ses ondées pour disperser le froid, son complice. Elle s’arrache d’un gris plat à toucher les toitures, lacère fort le sol, boursouflé par des giclées folles. Elle fait des tentatives obsessionnelles pour s’infiltrer partout, une forcenée, sous pression, qui aurait été lâchée par tous les pores des cieux pour tenter d’endiguer l’outrecuidance d’un oncle. Pinard parvient à émerger de cette mélasse et l’essore dans de larges coups de reins à l’entrée de la maison. Au mur, les sabots de la grand-mère, Marie Goasdu, suspendus sur ses maigres clous rouillés, abandonnés à leur sort, ont été dévastés par l’indifférence. Les soins qu’elle prodiguait pour les peindre ont inexorablement craquelé sous l’avalanche des coups de vent ou pelé à cause des torrents de gouttelettes. Les fleurs qu’elle plantait pour les embellir, ont flétri depuis fort longtemps. En lieu et place, la misère s’est glissée dedans, signe extérieur d’un naufrage intérieur. En les arrachant de la façade, René se battra contre cette fatalité.
Le lendemain soir, jeudi 19 janvier
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| Mon grand-père |
Le vent a soudain cessé de soûler ce reg léonard laissant le vide à la nuit qui s’évapore sous une pluie collante, drue, exacerbée. Des naufragés, René Derrien est de ceux-là, se trouvent emmaillotés dans ces cordes glaciales qui cisaillent en chutant la lumière ténue des lampadaires des rues de Saint-Pol-de-Léon. Toute cette fronde hivernale mouille les pensées, éclabousse les chaussures. Elle se fracasse sur les tôles des hangars, se cogne contre les volets de Kermi. Le quartier s’est livré, soumis, à l’obscurité à peine perturbée par quelques liserés qui s’échappent du globe du foyer des Gueguen. Dans les rigoles, l’eau se défile avec hâte entre les maisons, apeurée sûrement à l’idée du retour de l’accalmie. Elle déambule sur la pente, chahute et crapahute même comme les rats, enfin avale sur son passage les traces et les souvenirs de la journée. L’eau agit comme le vin. Elle croit pouvoir débarrasser l’ombre de ces oripeaux qui pourtant s’entassent et se noient dans le fossé à l’avant des maisons du « Bas », finissant par souiller les apparences.
René Derrien est trempé jusqu’aux tréfonds, ses vêtements lestés. Des mèches de ses cheveux dégringolent sur les tempes. Il se bat une première puis une seconde fois avec les parois de l’étroit vestibule. Malgré les secousses de la cloison, personne n’a surgi de l’appartement. Molly et leurs enfants consomment la nuit, abrutis par les efforts de la journée. Les Le Nan du 1er étage n’ont pas bronché. Peut-être que ce remue-ménage leur est suffisamment familier pour ne pas les alerter. Puis, le locataire peste contre l’ampoule claquée du couloir, pas changée, bon sang ! Dans la semi pénombre il s’enferre dans ses chaussures, cependant, vaillamment, les déchausse, pas trop tôt. Il se rend compte à tâtons qu’elles sont totalement gluantes à cause de la sente des marécages, avec une tonne de boue dans les mains, fait chier ! Ses chaussettes pisseuses pendouillent maintenant figées dans le froid. En dépit de son engourdissement, cette image lui saisit l’esprit et vient gonfler ses tympans, fait chaud. Il est assis là, depuis plusieurs minutes, écrasant les godasses des enfants, à tenter de dompter un souffle qui ne lui appartient plus. Au contraire. La cadence s’accélère. Grâce à son ivresse, il a pris une décision définitive, enfin ! Il y a longuement réfléchi. Ce n’est pas le fait du hasard. C’est sa décision et personne ne viendrait le faire changer d’option, sûrement pas ! Tout en tentant de se relever, ses mains s’agitent dans le vide, à la recherche d’un support. A défaut d’un appui, il doit se pencher sur le côté et, grâce à la traction fébrile des bras, parvient à se redresser, bordel ! Pour éviter d’avoir le souffle coupé, il halète tel un taureau qui expire. Avant de pousser la porte il a pensé à retirer ses vêtements, empilés, en vrac, copieusement arrosés. Il a tout de même gardé le fil électrique. Il entre. Le slip est flasque, le tricot qui flapie, le cerveau enseveli n’a qu’une vision. L’ambiance est chargée de l’haleine de ceux et celles qui sont assoupis depuis une petite heure. Avec Molly, il y a cinq enfants, dont Marc, l’aîné des garçons, recroquevillé dans un lit qui fait barrage aux velléités du vieux. Au passage dans la première pièce, à part lui, rien n’a chaviré. Le choc porté à l’entrée du salon réveille Marc. L’horloge Westminster vacille elle sur son clou, tremble légèrement mais ne s’affaisse pas. Marc souffle et se crispe sous la couette : « Bordel ! Il est encore bourré. » Les aiguilles de l’horloge tanguent et sonnent. René Derrien devine qu’il est 21 h. Il est temps. Les gestes n’ont pas été répétés, de toute façon il n’a pas besoin de s’exercer : « C’est simple. Tu peux le faire. Allez ! » Se sermonne-t-il pour se donner de l’entrain : une chaise pour grimper dessus, un nœud autour de la barre du rideau de la fenêtre puis une boucle autour du cou. Toutefois, la peur tétanise les muscles des jambes compliquant l’escalade sur la chaise. Elle en devient vertigineuse, à moins que ce soit l’ivresse qui le fasse encore osciller ? Il ne faut pas chuter, ça risquerait de les secouer.


slt David,
RépondreSupprimertrop bien, une vrai toile, tel lus tu cru cher ami que tes traits fussent là peint ! Christian