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lundi 12 mai 2025

Les naufragés de kermi - Extrait - La salubrité parfaite

 


Sous prétexte de pénurie de logements, il fut décidé, lors du conseil municipal de Saint-Pol-de-Leon, le dimanche 21 août 1921, sous l’égide du maire, le Comte de Guébriant, la construction de « logements ouvriers à bon marché », au lieu-dit « Creac’h Mikael », ancien lieu saint, transformé en dépotoir. A contrario, aurait-il fallu s’orienter vers une décision aussi scélérate ? Sous couvert, de la part des notables de la commune, d’un acte charitable, quoique sujet à l’augmentation du coût des travaux et de la main d’œuvre, n’y aurait-on pas camouflé une décision plus manichéenne de maintenir une population avec leur harde, peu éduquée, quasiment illettrée, coincée dans une langue bretonne à sabots, assujettie à des petits métiers ? Suffisants, tout juste, à justifier leurs existences, mais néanmoins si spécifiques au maintien d’une caste ô combien souveraine.

Enclavé et esquiché dans un triangle, entres les routes de « Sieck » au sud, de « Santec » au nord, et des rails à l’ouest qui partaient vers Roscoff d’un côté, de l’autre rejoignaient la gare de Saint-Pol-de-Léon avant de disparaître dans l’arrière pays morlaisien, le quartier comprenait dès 1924 un total de 12 maisons. Elles se répartissaient à part égale sur 2 pans parfaitement rectilignes, soit la partie du « haut », du n° 30 au n° 40, puisque exposée sur la ligne la plus élevée de la butte, et celle du « bas », du n° 10 au n° 20, qui s’alignaient au ras de la route de « Sieck ». Si le principe, non dévoilé dans un procès verbal municipal, résidait dans le fait de repousser à la périphérie la plus excentrée du centre ville, le nouvel aménagement, le passant, qui plus est étranger, aurait été étonné de noter qu’il s’accrochait sur un promontoire. Dépourvu de végétation, il ne pouvait être ignoré du regard, d'autant qu'à l’avant s’inclinait une pente douce où pullulaient les petites parcelles, traversées et quadrillées par des talus affaissés que se disputaient des raidillons clandestins. 

Au visiteur de passage ou de hasard, à partir de la route qui grimpait vers Roscoff, le soin de lorgner, maintes fois et longuement sur une saillie urbaine. À force d'incessantes désapprobations mondaines, les façades de ces maisons se détérioraient, lesquelles finissaient par avoir leur aspect roussi aussitôt placées sous l’axe du levant. Si le voyageur avait auparavant sillonné le Haut-Léon, nul lieu à la ronde ne venait lui remémorer une tel ouvrage, le conservateur léonard n’étant pas de surcroît réputé pour entreprendre un quelconque échappatoire à sa monotonie architecturale et briser des siècles de sédimentation granitique, calfeutrée dans les flèches de la Cathédrale et l’église du Kreisker. Avec ce type d’habitat, on frôlait l’indécence sociale. Ailleurs dans d’autres misères caillouteuses, dissimulée sous quelques baobabs, on l’aurait nommé une case ou bien, plus à l’est, une isba, piteusement décrite par Dostoïevski, végétant sous un amas de neige. On entretenait l’infamie de classes pour justifier la réputation d’une prospérité discrète, surtout si on y logeait des « petites gens », censées pourtant être dissimulées. Tout au contraire, on infligeait à la vision panoramique une attraction nuisant à la promotion de la robustesse du patrimoine saint-politain. Avaient-ils nécessité à exposer leur domination sur les plus démunis dans cette forme d’exclusion ? Cependant, l’essentiel fut préservé, sinon évité : le fronton de mer se faufilant du domaine des « De Guébriant » jusqu’à la crique de la grève du Mans, immergeant pleinement dans la rade de Morlaix, aurait pour unique destination l’émergence majestueuse de demeures de caractères, rivalisant avec celles de l’autre rive, à Carantec.

Chaque maison, de deux étages et d’un grenier à vocation de stockage des sacs de 50 kg de charbon et des pommes de terre étalées à même le plancher et consommées dans l’année, où l’on accédait par un escalier en forme de colimaçon, était étroitement proportionnée pour accueillir entre trois et quatre familles. Nul ne savait exactement comment étaient attribués les logements partagés entre le locatif et le privé. En fonction des nécessités ? Sur recommandation ? Avec l’appui d’un quelconque commanditaire ? Les promoteurs du projet ne les avaient intentionnellement pas valorisés par de superficielles coquetteries. Il fallait œuvrer à un objectif écru, dans le but de limiter les coûts des travaux, tout au plus, louer une superficie de 20 m2 divisée en deux pièces dans une nudité imposée, laissant aux locataires le rôle d’aménager sommairement leur intérieur, dans le cas où leurs revenus le permettraient. Au demeurant, très peu possédait un vaisselier comme Katarine Le Doll. Dans plusieurs endroits, l'espace se trouvait encombré par de grands lits pour les enfants, disposés dans la cuisine et dans le salon pour les adultes, quand cela paraissait envisageable. L’intimité, un état dérisoire quand on supposait la promiscuité des habitants, se camouflait et s’exerçait muette derrière de larges rideaux. Un mur extérieur de pierres grossièrement taillées fricotait avec un autre mur réalisé à partir de briques rouges, le tout recouvert d’un plâtre grossier sur le verso et d’un crépi épais, qui couvrait le recto des logements. A quel moment la mairie avait-elle manœuvré, en supposant qu’elle visait cet objectif, pour ne pas se conformer aux données initiales, arrêtées et rédigées pourtant par elle ? « Salubrité parfaite, adaptation aux besoins et coutumes des familles ouvrières de la région » pouvait-on lire dans le compte-rendu du dimanche 21 août 1921.

Au fil du temps, des plaques de bois, type « isorel », à l’initiative des loueurs, furent appliquées contre les parois en masquant le revêtement d’origine, dépenses exclusivement supportées par ces derniers. Pour l’éclairage, de hautes fenêtres favorisaient le passage de la lumière, tout aussi sûrement que le givre que l’on ne parvenait difficilement à contraindre à l’éviction. Seule la cuisinière servait de bouclier, au cours d’une journée algide, à juguler ses pincements insidieux, quand les températures dégringolaient au-delà du supportable. Après plusieurs décennies d’occupation, la première amélioration notable, vécue par la première génération dans laquelle s’encaquèrent Hervé Derrien et Marie Goasdu, fut l’arrivée de l’électricité, dans des lieux régulièrement abandonnés au clair-obscur. Certes avec parcimonie, à Saint-Pol-de-Léon on avait le goût de la méthode et de la sobriété, surtout à destination de populations connues pour le peu de cas qu’ils faisaient pour des revendications à l’accès à la propreté et qui, de toute façon, n’en demandaient pas tant. L’appareillage qui suivit, se limitait à un interrupteur et une ampoule suspendue par pièce, de quoi prétendre, s’il fallait en douter, que chaque saint-politain pouvait profiter des progrès de la distribution et à l’approvisionnement en électricité. En évoquant le « progrès », on obtura les trous qui servaient de toilettes, à l’arrière de chaque maison, de façon à construire au milieu du quartier, un bloc central de WC « turcs », commun à tous les locataires, dont un côté pour les hommes, un autre réservé aux femmes. Toutefois, au tout début des années 60, les conditions minimales de confort, comme l’accès à l’eau courante et l’installation du chauffage central n’obtenaient toujours pas les faveurs du bailleur municipal. On devait donc s’échiner à chauffer l’espace et les corps grâce à la cuisinière et récupérer de l’eau aux deux pompes publiques, l’une installée à l’angle de la rue Corre, la seconde en fonction, en face du n° 30.


2 commentaires:

  1. Cette forme de "paternalisme" exista partout ; pour autant, difficile à défendre ! Mais, quelle(s) alternative(s) ? Monter à Paris, par ex ? Partir comme paysan dans le sud-ouest ou dans les colonies ?

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    1. On a d'autres exemples locaux mieux pensés, "autogérés" comme la Cité des castors. A ce propos, d'après un proche, les notables de Saint-Pol étaient outragés qu'ils puissent installer des toilettes dans leur maison : "comment ça ? Pour quoi faire ? Ils n'en ont pas besoin". C'était impensable qu'ils puissent accéder à de tels installations. Il faut croire que l'hygiène devait être réservée à quelques uns et que les ouvriers n'en avaient certainement pas besoin.

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